19 février 2011

Quelqu'un d'autre - Tonino Benacquista


"Quelqu'un d'autre" est un roman publié en 2002 et issu de la plume de l'écrivain et scénariste français Tonino Benacquista, auteur de "Malavita" et de sa suite "Malavita encore", "La Maldonne des sleepings" ou encore de "La Commedia des râtés".

A l'issue d'une partie de tennis, Thierry Blin et Nicolas Gredzinski, deux quadragénaires grisés par leur morne existence, font le pari assez improbable de devenir en 3 ans les hommes qu'ils auraient rêvé d'être.
Dès le lendemain, le compte à rebours commence. Tandis que Nicolas semble se réjouir de la nouvelle assurance que lui procure l'alcool, Thierry Blin entreprend de changer de nom, de visage, de femme, de métier pour se glisser dans la peau de Paul Vermeiren, un détective privé.
Les deux hommes trouveront-ils le bonheur grâce à leurs nouvelles existences?

Un pari entre deux inconnus? Quel curieux point de départ me suis-je dit en commençant ma lecture.
Si quelqu'un s'adressait à moi dans la rue en me disant "Chiche que tu changes de vie!", il est clair que je me contenterais de passer mon chemin.
Or il y a entre ces deux personnages une reconnaissance instantanée de la détresse de l'autre, une complicité à demi-mots qui laisse penser que tous deux attendaient cette rencontre depuis un moment.
Nicolas est assistant d'un directeur de clientèle. C'est un homme effacé, anxieux, incapable de dire non et d'un pessimisme naturel.
Au contact de l'alcool (de l'ivresse même), il découvre cet Autre qui vit à l'intérieur de lui, plus détendu, plus prolixe, plus affirmé.

" L'Autre savait tout rendre passionnant, une conversation de bistrot, un trajet en métro, la lecture d'un quotidien. Il rendait magique la rencontre d'une silhouette dans un ascenseur, il savait trouver les mots pour calmer les esprits échaudés et ranimer les enthousiasmes perdus. Ce n'était pas la noirceur de Nicolas qui se libérait mais bien l'inverse : sa bienveillance face à l'humanité, sa curiosité pour tout ce qui n'était pas son petit monde, sa douceur trop longtemps contenue.
Les rares moments où il laissait l'Autre s'éloigner, Nicolas se sentait vite nostalgique de ses frasques, de ses idées brillantes et saugrenues, de sa morgue." p.277

Thierry n'aime pas son boulot d'encadreur et se sait pertinemment bien incapable de toute inventivité. Il aspire à une vie plus palpitante, qui laisse place à l'inattendu et fonde tous ses espoirs dans son métier de détective privé. Complexé par son physique, il se rend chez un chirurgien qui le métamorphose et il s'attache à faire disparaître toute trace de son ancienne vie, y compris son identité.

" Les esprits malades qui divorcent d'eux-mêmes sont répertoriés par la psychiatrie qui leur a donné des noms compliqués, son cas devait sûrement en porter un.
S'il avait connu ce fameux mot, peut-être aurait-il été tenté de se faire soigner, il suffisait de changer de service. Rodier lui avait laissé une chance de tout arrêter sur-le-champ, pourquoi pas Joust? Lequel entra, se fendit de quelques paroles d'usage et traça, en silence, des lignes sur le visage de son patient. Le tranquillisant commençait à faire effet ; s'il en avait encore le désir, Blin ne pouvait déjà plus se rétracter. Ses épaules tombèrent d'un coup et son corps entier se mit à flotter. Le sourire du ravi se dessina sur ses lèvres quand il vit arriver le brancardier.
Dans le bloc, il croisa une dernière fois le regard de Joust, ça n'avait déjà plus d'importance, comme si la conscience de Blin quittait lentement son corps pour rejoindre celui de Vermeiren.
L'anesthésiste lui injecta dans les veines un liquide blanchâtre qui lui chauffa le bras, lui demanda de compter jusqu'à cinq.
Ce fut le dernier visage qu'il vit avant de perdre le sien." p.203

Thierry et Nicolas mènent des existences parallèles qui finiront pourtant par se croiser.
Les chapitres se consacrent alternativement aux deux personnages qui progressent vers une identité nouvelle et le rythme diffère énormément d'un portrait à l'autre.
Si j'ai aimé la façon dont Nicolas remettait brillamment en place son collègue insupportable, j'avoue avoir été davantage captivée par la franche détermination et les changements opérés par Thierry, sans doute parce que sa démarche s'avère beaucoup plus radicale et pleinement assumée.
Contrairement à Thierry, Nicolas ne souhaite pas que son quotidien s'arrête brutalement, il reste attaché à lui-même, à cet Autre qui fait néanmoins partie de lui là où Thierry crée cet Autre de toutes pièces et fait entièrement table rase de son passé (même si la tentation est bien là quant à savoir ce que ses proches pensent de son ancien lui et comment ils interprètent sa disparition).

A dire vrai, à chaque fois que je débutais un chapitre "Nicolas", je n'avais qu'une hâte : passer au chapitre suivant et retrouver Thierry ainsi que le suspense insoutenable qui entourait sa nouvelle vie ! Je comprends que l'auteur ait voulu recourir à des personnalités diamétralement opposées mais je n'ai pas vraiment réussi à me projeter dans le mal-être de Nicolas, l'impression de stagner ne m'ayant pas quittée.
Avis mitigé donc même si je reconnais que "Quelqu'un d'autre" reste un roman intéressant, moins pour l'histoire que pour les questions qu'il pose sur le sujet de la reconstruction identitaire


D'autres avis : Pimprenelle - Mélusine - Lili Galipette

"Quelqu'un d'autre" fait partie de la sélection française du Prix QD9 lancé par Cécile.

17 février 2011

Plage de Manaccora, 16h30 - Philippe Jaenada


"Plage de Manaccora, 16h30" est le 8ème roman, paru en 2009, de l'écrivain français Philippe Jaenada, salué par la critique et le Prix de Flore pour son roman "Le Chameau Sauvage".

Voltaire, écrivain quadragénaire, passe ses vacances d'été dans le Sud de l'Italie avec sa femme Oum et leur fils Géo.
Mais un événement interrompt rapidement les vacances : un feu de forêt se déclare au milieu de cette région aride exposée à un soleil de plomb et parsemée de pins.
Comme les autres vacanciers, Voltaire et sa famille se retrouvent coincés dans un incendie qui se propage à une vitesse folle et les pousse à prendre la fuite d'un point à un autre, pour un répit toujours de courte durée.

" Pour nous, le monde, maintenant, se réduisait à un bout de plage. Il n'y avait rien devant nous, juste une statue de la Vierge et un mur vert infranchissable, et rien derrière, une barrière de flammes puis la désolation noire.
Plus rien d'autre ne pouvait nous servir de décor que ce bout de plage, qui rétrécissait." p.147

Je ne connaissais Philippe Jaenada que de nom et lorsque Cécile m'a offert ce roman, je ne savais pas du tout de quoi il était question.
Comme vous l'aurez compris, "Plage de Manaccora, 16h30" est un récit catastrophe.
Il ne faut pas longtemps au lecteur pour deviner qu'un malheur se prépare et pour entrer dans l'action.
Les différents personnages sont à peine esquissés au début et l'on devine que l'intérêt de l'auteur est de les examiner par le prisme d'une situation extrême pour révéler leurs vraies personnalités.
Certains se montrent vaillants, d'autres beaucoup moins. Parmi eux se trouve Voltaire, le narrateur, qui apparaît comme un homme effacé derrière une femme habituée à endosser toutes les responsabilités du couple. A mesure que le danger et la tension montent, il va peu à peu s'affirmer dans son rôle de père de famille soucieux de protéger les siens, raison pour laquelle on lui pardonne ses petites lâchetés.

" - Oum ! (J'ai un peu regretté, mais c'était sorti.)

- Il faut que j'aide la dame !

J'ai eu envie de dire quelque chose comme : "Laisse-la, elle a bien vécu!", mais cette fois, je me suis retenu. Pourtant, c'était sincèrement ce que je pensais : je ne trouvais pas normal que nous mourions en essayant de sauver une vieille femme. Je ne voulais pas mettre en jeu la vie de mon fils (et celle de ses parents, soyons honnête) pour que cette brave grand-mère reste quatre ou cinq ans de plus sur terre.
J'ai continué à avancer avec Géo, en ralentissant tout de même un peu pour ne pas abandonner Oum. Je voyais la femme que j'aimais à la traîne, ma raison d'être, sur fond de flammes et de fumée, et ça m'ouvrait les entrailles - tout ce que je réussissais à penser, c'était : "Laisse-la griller, et tu pourras filer." (C'est dans les situations délicates qu'on comprend qu'on est moins altruiste qu'on l'espérait. J'ai été obligé d'admettre à cet instant, et pour le restant de mes jours, que je n'étais pas prêt à risquer la mort, encore moins celle de ma femme et de mon fils, pour sauver quelqu'un. C'est la honte, mais c'est la vie.)" p.60

Mais cette position est un leurre : Voltaire a peur et s'abrite derrière les souvenirs et le second degré pour relativiser ce qu'il vit.
L'auteur nous gratifie dès lors d'anecdotes savoureuses qui permettent non seulement de faire plus ample connaissance avec l'attachant Voltaire et son rapport à la mort mais présentent également l'avantage de casser le rythme effréné du récit, de relâcher la tension, pour faire souffler le lecteur (un peu comme dans un épisode de "Lost", la schizophrénie en moins).
Un choix narratif des plus judicieux pour moi qui ne suis pas férue des récits apocalyptico-anxiogènes (je suis inhumaine, vous l'ignoriez?)

" Avant que nous ayons tout à fait quitté le parking, un bruit violent de verre explosé nous a stoppés : le tatoué chauve qui tournait autour des voitures venait de lancer une pierre (je suppose) dans la vitre d'une petite Fiat rouge. Il a ouvert la portière et plongé sous le volant, certainement pour arracher et connecter les fils ( je crois que je n'aurais jamais l'occasion d'essayer ça, mais j'aimerais bien, on doit se sentir gangster désinvolte, la caméra sur soi - et fuck them all). Ce devait être un voyou, à la ville, un petit braqueur de quartier (on y pense pas, mais ils ont bien le droit d'aller se baigner de temps en temps). C'est parfois très utile, comme formation, ça donne un net avantage sur les autres quand il s'agit de foutre le camp de ce traquenard.
Sous les yeux incrédules des indécis (pas un touriste tremblant ne s'est risqué à monter à côté de lui, les voyous ont leurs propres codes et des réactions imprévisibles - "Vire-moi ton bermuda d'ici, papa, ou je te saigne comme un mouton"), il a démarré en quelques secondes, tout le monde ayant conscience qu'il était en train de condamner à mort une gentille petite famille encore dans la montée ("Va doucement, mémé, on a le temps"), et s'est fait la belle en trombe - en trombe de Fiat, tout est relatif, Fuck them all, sourire édenté.
(Deux jours plus tard, dans La Gazzetta del mezzogiorno, je lirais trois lignes sur le cadavre anonyme retrouvé calciné dans la carcasse d'une Fiat. Ses amis truands de supérette, à Naples, se demandent où il est passé.)" p.128

Pour le reste, la patte de l'auteur est bien là : un humour décalé, de longues phrases traversées de parenthèses voire de doubles parenthèses, un style qu'il m'a fallu apprivoiser non sans mal.
J'ai trouvé certaines phrases interminables et il n'est pas rare que je dusse en décomposer certaines pour arriver à comprendre leur sens.
Autre bémol : la fin ! J'aurais préféré que l'auteur s'en tienne au retour au pays de Voltaire et de sa famille, les fausses frayeurs (le problème de bateau et l'incident du parachute pour ceux qui l'ont lu) n'ajoutant selon moi rien au récit.

" L'habitude, quand même, a aussi du bon, je me disais. Ca souligne les souvenirs. J'aime les souvenirs, c'est à peu près tout ce qu'on a de sûr, d'intime et dense, une collection précieuse, inaccessible, dedans, : ils se polissent d'eux-mêmes sans qu'on y pense, et prennent, les bons comme les mauvais, une charge de douceur rassurante, lointaine, une enveloppe aimable.
Ils restent là, on peut en profiter quand on veut. J'aime me revoir dans le passé, me rappeler ce que j'étais, ce que j'ai fait à tel endroit où je me trouve maintenant, plus vieux, je m'émeus tout seul, nouille." p.16

J'ai donc eu un coup de coeur pour l'humour de l'auteur mais nettement moins pour l'histoire dans sa globalité. J'ai bien l'intention de lire "Vie et mort d'une jeune fille blonde" déjà dans ma PAL et pourquoi pas "Le Chameau sauvage"?

"Plage de Manaccora, 16h30" fait partie de la sélection française du Prix QD9 lancé par Cécile.




D'autres avis : Amanda Meyre - CécileQD9 - Yv - Cunéipage - L'Ogresse - Cathulu

15 février 2011

Le miroir - Edith Wharton


"Le miroir" se compose de deux nouvelles rédigées par l'écrivaine américaine Edith Wharton et extraites du recueil "Grain de grenade" ("The Ghost stories of Edith Wharton") publié en 1973.

Le miroir nous raconte comment Mrs Attlee, masseuse et medium à ses heures perdues, a tenté d'aider l'une de ses clientes, Mrs Clingsland, à retrouver une nouvelle jeunesse.
Quand Mrs Clingsland se plaint de sa beauté disparue et lui confie l'existence d'Harry, un jeune homme qui fut autrefois son soupirant, Mrs Attlee la prend en pitié et entreprend de lui faire parvenir des lettres d'amour signées du fantôme d'Harry, décédé lors du naufrage du Titanic.
Par chance, Mrs Attlee rencontre un jeune homme tout disposé à jouer le scribe.
Mais est-il bon de faire parler les morts?

Dans Miss Mary Pask, un peintre se rend en Bretagne pour y exercer son art et se rappelle sa promesse faite à son amie Grace de visiter sa soeur Mary qui vit en ermite à Morgat, dans une maison située dans la baie des Trépassés.
Alors qu'il entre dans la demeure, il se souvient que Mary est décédée un an plus tôt mais il est trop tard pour rebrousser chemin : le fantôme de Mary se trouve justement face à lui...

Edith Wharton a ici pris le parti de s'éloigner pour un temps des mariages pour se consacrer aux fantômes et à la superstition dont ils font l'objet.
Mrs Clingsland comme Miss Mary Pask sont toutes deux des femmes seules, issues de familles aisées, en quête d'un peu de piment dans leurs vies ennuyeuses.
Rédigées sous forme de confessions, ces deux nouvelles laissent apparaître des narrateurs en prise avec leur culpabilité. Bien intentionnés, ils ont pris ces femmes en pitié et leur imagination a fait le reste.
Si le but de l'auteure était de recourir aux fantômes pour pointer du doigt la crédulité et la bêtise de la bourgeoisie de son époque, le but est atteint... ou presque car j'ai trouvé ces caricatures grossières, dépourvues de subtilité.
" Je monte dans la chambre de la pauvre femme et la trouve au lit, agitée, les yeux brillants et le visage envahi par les rides que j'ai tant travaillé à effacer. En la voyant, mon coeur se radoucit.
Après tout, me dis-je, ces gens-là ne savent pas ce que sont les ennuis véritables, mais ils ont réussi à fabriquer quelque chose qui y ressemble tant que c'est presque aussi difficile à supporter que les vrais." p.47

Je m'attendais à ressentir des frissons à la lecture de ces nouvelles or rien ne s'est produit tant l'auteure me semblait manipuler maladroitement le genre fantastique avec pour résultat de simples anecdotes à peine crédibles et clôturées par des chutes on ne peut plus plates.
Un recueil sans grand intérêt pour moi et que je déconseille à qui veut découvrir l'univers de Wharton...
Je lui laisse d'ailleurs le mot de la fin :

" Cependant, tout en restant patiemment assis à l'écouter, je n'arrivais pas à éprouver un réel intérêt pour ce qu'elle disait.
J'avais le sentiment que je ne pourrais jamais plus m'intéresser à Mary Pask, ou à quoi que ce fût qui la concernait." p.84


14 février 2011

Tag des trente derniers jours

Cela faisait un moment déjà que je n'avais plus répondu à un petit tag. Heureusement, Reka a pensé à moi :)

1) Combien de fois avez-vous été en librairie, en bibliothèque ces trente derniers jours?


1) Zéro fois 2) 1 à 10 fois 3) Plus de 10 fois

Réponse 2.
2 fois chez mon bouquiniste et 2/3 fois chez mon libraire.

2) Combien de livres ont rejoint votre PAL depuis? (hormis les emprunts de bibliothèque, une PAL étant la pile dont on ne se débarrasse pas comme ça et qui peut croupir chez soi des années)

1) Zéro 2) 1 à 5 3) Plus de 5

Réponse 3 : 13 (ahum...)

J'ai acheté :

- Toxique de Françoise Sagan (lu et commenté)
- Des yeux de soie de Françoise Sagan
- Pauline de George Sand
- Une vie parfaite de F.S Fitzgerald
- Lots of love de F.S Fitzgerald
- Ida d'Irène Némirovsky
- Rêves de garçons de Laura Kasischke
- Rien que du bonheur de Laurie Colwin
- Un soupçon légitime de Stefan Zweig
- Un majestueux fossile littéraire de Mark Twain
- Le miroir d'Edith Wharton (lu - billet en cours)

J'ai reçu :

- Un dé en acajou a disparu et autres nouvelles économiques de Christian Ost (lu et commenté)
- Oeil-de-chat de Margaret Atwood

3) Combien de livres dans votre LAL au cours des trente derniers jours?

1) Zéro 2) 1 à 10 3) Beaucoup plus

Réponse 2 mais comme Reka, je dois dire que quand un livre me tente, j'ai du mal à laisser son titre sur une liste. Je préfère aller l'acheter directement (ce qui ne veut absolument pas dire que je le lirai tout de suite, tout le paradoxe est là :))
La taille de ma LAL est donc directement liée à celle de mon portefeuille...

4) Un livre lu en entier ces trente derniers jours? Faisait-il partie de la PAL? S’agit-il d’une nouvelle acquisition?

1) Aucun 2) Oui, et il faisait partie de la PAL 3) Oui, et il s’agit d’une de mes acquisitions de l’année

Réponses 2 et 3.
En théorie, tous mes livres lus faisaient partie de ma PAL à un moment donné ^^ J'ai lu "Les Hauts de Hurle-Vent", "Un roman français" et "Quelqu'un d'autre" qui traînaient dans ma PAL depuis un an mais j'ai aussi lu de récentes acquisitions comme en témoigne la liste ci-dessus.
Ma PAL ne contient aucun livre à l'abandon, seulement des livres en attente...

5) Un défi entamé pendant ces trente derniers jours?

1) Défi? 2) Entamé oui 3) Fini même

Réponse 2.
J'ai entamé le Challenge Sagan lancé par George et le Challenge 100 ans de littérature américaine relancé par Marion.

Je renvoie ce tag à Choco, Clara, George, Mango, Keisha et Liliba si elles sont d'accord ;)

12 février 2011

Les Hauts de Hurle-Vent - Emily Brontë


"Les Hauts de Hurle-Vent" est l'unique roman de l'écrivaine anglaise Emily Brontë, publié en 1847 soit la même année que le non moins célèbre "Jane Eyre" rédigé par sa soeur Charlotte Brontë.

Mr Earnshaw, veuf, vit à Hurle-Vent avec ses deux enfants, Catherine et Hindley. Un soir, alors qu'il rentre de voyage, il ramène avec lui un jeune garçon, Heathcliff, à qui il témoigne rapidement plus de tendresse qu'à ses propres enfants.
Si ce nouvel arrivant ne cesse d'alimenter la jalousie d'Hindley, Catherine elle finit par accepter ce second frère au point que tous deux deviennent rapidement inséparables.
Hindley est envoyé dans un collège pour une durée de 3 ans, se marie et revient à la mort de son père. Toujours animé d'une vive jalousie vis-à-vis d'Heathcliff qu'il considère comme un vulgaire bohémien, il bénéficie au titre de maître de maison de toute la latitude nécessaire pour faire transférer son ennemi juré dans le quartier des domestiques et l'éloigner de sa soeur.
Soutenu par sa femme, Hindley parvient à faire de sa soeur une jeune femme du monde qui ne tarde pas à épouser le fils de leurs locataires, Edgar Linton.
Blessé par ce mariage, Heathcliff quitte la demeure puis revient pour apprendre qu'il a toujours été le favori dans le coeur de Catherine.
Après que celle-ci meure en mettant au monde sa fille Catherine(bis), Heathcliff est pris d'une haine viscérale envers le frère et le mari dont il promet de se venger de la plus terrible manière...

"Les Hauts de Hurle-Vent", un titre qui pourrait être celui d'un film d'épouvante ! Bon sang quelle histoire...Tant de noirceur concentrée dans un seul et même roman ! Des personnages tous plus égocentriques et torturés les uns que les autres (à l'exception de Nelly Dean, la courageuse femme de charge qui n'a décidément pas la langue dans sa poche), la palme revenant évidemment à l'odieux Heathcliff !
Dans une région qui ne semble traversée que par une seule saison, deux maisons situées à 4 miles l'une de l'autre sont le théâtre d'une fresque familiale qui s'étale sur une quarantaine d'années faites d'incessantes querelles entre 3 générations toutes plus impulsives les unes que les autres.
Les femmes y sont capricieuses, manipulatrices et hystériques, les hommes violents, cupides et dénués de sens moral et les enfants sont relégués à de simples instruments chargés d'assouvir la vengeance de leurs aînés.
Au centre et à l'origine de toute cette haine, Heathcliff et ce désir absolu de revanche qui se mue en une malédiction s'abattant sur ses ennemis avant de se reporter sur leur descendance.
C'est à travers le récit de Nelly Dean, seule figure maternelle, témoin, arbitre et souvent complice malgré elle de cette folie ambiante, que l'histoire se déploie.
Celle-ci rend compte d'une atmosphère sombre rendue à la fois par la description d'un cadre et de décors tristes ( ce temps maussade qui n'en finit pas, ces demeures laissées aux humeurs de leurs habitants) comme par le manque de gaieté et d'affection dont font preuve les personnages de cet infernal huis-clos.
Bien sûr, le style d'Emily Brontë est élégant comme sait l'être l'écriture de son époque mais il est d'autant plus saisissant qu'il offre une peinture si sinistre de l'être humain par l'entremise de dialogues cinglants entre des protagonistes qui ne cessent de se souhaiter mutuellement de périr en enfer et prennent un plaisir non dissimulé à se regarder souffrir. Lovely, isn't it?
" Je sais très exactement ce qu'il souffre en ce moment, par exemple ; ce n'est d'ailleurs qu'un simple avant-goût de ce qu'il souffrira.
Il ne sera jamais capable de sortir de son abîme de grossièreté et d'ignorance. Je le tiens mieux que ne me tenait son coquin de père, et je l'ai fait descendre plus bas, car il s'enorgueillit de son abrutissement. Je lui ai appris à mépriser comme une sottise et une faiblesse tout ce qui n'est pas purement animal.
Ne croyez-vous pas que Hindley serait fier de son fils, s'il pouvait le voir? Presque aussi fier que je le suis du mien. Mais il y a une différence : l'un est de l'or employé comme pierre de pavage, l'autre du fer blanc poli pour jouer un service d'argent. Le mien n'a aucune valeur en soi ; pourtant j'aurai le mérite de le pousser aussi loin qu'un si pauvre hère peut aller.
Le sien avait des qualités de premier ordre, elles sont perdues ; je les ai rendues plus qu'inutiles, funestes. Moi, je n'ai rien à regretter ; lui, il aurait à regretter plus que qui qui ce soit." p.263

Et tout cela viendrait d'une histoire d'amour empêchée entre Heathcliff et Catherine? Au risque de m'attirer les foudres des lecteurs sensibles aux liens qui unissent ces deux-là, je parlerais plutôt de complicité (malsaine) que d'amour pour qualifier la nature de cette relation.
Certes, Heathcliff et Catherine sont sans nul doute taillés dans la même écorce, tous deux semblant tirer un même malin plaisir à manipuler et se moquer de leur entourage, mais ils ne se montrent pas plus charitables l'un envers l'autre.

" Ce serait me dégrader moi-même, maintenant, que d'épouser Heathcliff. Aussi ne saura-t-il jamais comme je l'aime; et cela, non parce qu'il est beau, Nelly, mais parce qu'il est plus moi-même que je ne le suis. De quoi que soient faites nos âmes, la sienne et la mienne sont pareilles, et celle de Linton est aussi différente des nôtres qu'un rayon de lune d'un éclair ou que la gelée du feu." p.111

Bien des vies auraient été préservées si tous deux avaient eu la noblesse d'âme de ne pas laisser leur égoïsme contaminer des innocents mais il faut bien avouer que sans le drame initial que fut leur séparation, "Les Hauts de Hurle-Vent" ne seraient pas ce qu'ils sont...

" Mais la traîtrise et la violence sont des lances à deux pointes ; elles blessent ceux qui y ont recours plus grièvement que leurs ennemis." p.216

J'aurais voulu développer ce billet davantage mais que dire qui n'ait pas déjà été dit sur ce roman? On aura beau l'expliquer en long, en large et en travers, évoquer tour à tour les drames qu'il abrite, le caractériser par rapport aux courants romantique et gothique, lui trouver des ressemblances avec "Roméo et Juliette" ou "Jane Eyre", il n'en reste pas moins que "Les Hauts de Hurle-Vent" est avant tout un roman singulier, aussi captivant qu'éprouvant, qu'il est indispensable de découvrir de ses propres yeux.
Les miens ont encore un peu de mal à s'en remettre, je dois bien l'avouer.

Allez, rien de tel que de finir ce billet par une note musicale ! Un bel hommage à ce roman (et une chorégraphie qui me fait toujours rire) !




"Les Hauts de Hurle-Vent" a fait l'objet d'une lecture commune avec Lili Galipette et Anne dont je file lire les billets !

7 février 2011

Un roman français - Frédéric Beigbeder


"Un roman français" est un roman de l'écrivain français Frédéric Beigbeder, auteur de "99 francs", "L'amour dure 3 ans" ou encore de "Windows on the World", publié en 2009.

Le 28 janvier 2008, alors que son frère s'apprête à recevoir la Légion d'honneur, Frédéric Beigbeder se fait interpeller par la police alors qu'il sniffe de la cocaïne sur le capot d'une voiture en compagnie d'un autre écrivain.
S'ensuit dès lors une garde à vue prolongée au cours de laquelle il connaîtra les tourments de l'interrogatoire, de la fouille intégrale et de l'enfermement que sa claustrophobie a du mal à gérer.
Les angoisses montent et se heurtent bientôt à des souvenirs d'enfance que l'auteur pensait avoir oublié. Fouiller et se réfugier dans les méandres de sa mémoire apparaît dès lors comme le seul moyen pour l'écrivain de s'évader de sa sombre cellule.

" Toutes les enfances ne sont peut-être pas des romans mais la mienne en est un. Une fiction triste, une histoire d'amour ratée dont mon frère et moi sommes les fruits. Nous avons vécu un bonheur Canada Dry. C'est une vie qui a l'apparence du bonheur : Neuilly, les beaux quartiers de Paris, de grandes villas à Pau, la plage de Guéthary ou de Bali...ça ressemble au bonheur, on dirait du bonheur mais ce n'est pas du bonheur. On devrait être heureux, on ne l'est pas ; alors, on fait semblant." p.231

"Un roman français" peut être considéré comme un petit ovni dans l'oeuvre de l'auteur. L'usage du mot "roman" dans le titre n'en réfère pas tant au contenu qu'au constat de l'auteur qui déplore que le mensonge de ses parents quant aux circonstances réelles de leur divorce l'ait fait vivre dans une fiction durant de nombreuses années.
Si ses romans précédents laissaient entrevoir autant de biographies déguisées montrant un homme provocateur, arrogant, irresponsable, profondément égoïste et enferré dans un "présent perpétuel", "Un roman français" se présente comme les coulisses de la vie de l'auteur, l'occasion pour lui de convoquer des souvenirs enfouis, de figer son enfance, de s'installer dans le temps, d'accepter de vieillir en somme.

En marge des interrogatoires et des conditions de détention décrites comme inhumaines, l'auteur évoque au détour de flashs le petit garçon et l'adolescent sage, timide et complexé qu'il était, toujours en retrait par rapport à son frère aîné qui s'échinait à mener une vie structurée tandis que lui prenait délibérément la tangente.
Sans renier ses origines et les aspects positifs d'une enfance privilégiée, il aborde également les manques dont il a souffert alors que fils de divorcé, il partageait les modes de vie diamétralement opposés de ses parents et passait son temps entre deux maisons en compagnie de beaux-parents qui se renouvelaient fréquemment.
Il examine les incidences que les non-dits ont pu avoir sur sa vie d'adulte et la façon dont il a reproduit malgré lui un schéma familial marqué par l'absence du père au fil des générations.
Et pourtant, il n'y a ici aucune trace de jugement ni de rancoeur. L'auteur saisit ici l'occasion de rendre hommage à ces ancêtres héroïques morts pour leur pays, à ce frère qu'il aime malgré leurs différences, à ses parents qui l'ont élevé comme ils l'ont pu, à sa fille qui à travers ses questions et ses découvertes lui offre la chance de revivre son enfance.

" Une femme seule qui élève deux enfants, c'est le bagne. Depuis j'ai compris ce qu'est une mère célibataire : c'est quelqu'un qui vous a donné la vie pour pouvoir sacrifier la sienne. Elle a quitté notre père, puis notre beau-père, et à partir de ce moment n'a plus cherché qu'à expier les fautes que nous ne lui reprochions pas. Elle a décidé d'être une femme indépendante, c'est-à-dire une sainte comme son grand-père suicidé à la guerre de 14.
Je sais que beaucoup d'écrivains ont eu des griefs envers leur mère. En ce qui me concerne, il n'y a que gratitude. Son amour était incommensurable. Elle a dû s'apercevoir que nous, au moins, ne la quitterions jamais, ce en quoi elle se trompait." p.248

Bon qu'on se le dise, il s'agit ici d'une autobiographie qui suppose pour une fois un narcissisme pleinement assumé.
Forcément, lorsqu'on entend parler de sa vie, on en vient à parler de soi - logique - comme à évoquer le milieu dans lequel on a grandi pour pouvoir se situer par rapport à ses ancêtres, ses parents, son époque, etc.
Même si je concède que les aspects généalogiques sont un passage obligé lorsqu'on se livre à l'exercice de l'autobiographie, je dois bien reconnaître que ceux-ci m'ont quelque peu ennuyée tant je me désintéresse du milieu mondain et de ses protagonistes.
J'étais avant tout curieuse de connaître le regard que portait Frédéric Beigbeder sur une enfance ma foi idyllique de l'extérieur, à ce qu'il reste une fois qu'est grattée la grosse couche de vernis.
Certains lecteurs ont résumé ce livre à une somme de jérémiades injustifiées. Je ne saurais leur donner raison tant je pense que chaque expérience est vécue différemment par chacun d'entre nous et que chaque souffrance se veut singulière et incomparable.
Ce n'est pas parce qu'une douleur peut être jugée infime en regard d'autres qu'elle ne peut être exprimée. Si c'était le cas, plus personne ne pourrait plus se plaindre dans la mesure où il existe toujours pire ailleurs.
Aussi si je reconnais volontiers que l'auteur ait pu souffrir d'une enfance trop protégée et d'un séjour en prison, je n'ai pas tellement apprécié les mises en parallèle dressées entre sa vie et le sort de ses ancêtres ainsi que d'autres écrivains.
J'ai largement préféré les passages où l'auteur se contentait de sa seule voix, sans avoir recours à des exemples rutilants de l'Histoire qui loin d'appuyer la sincérité de sa démarche lui donnaient un caractère grotesque.
Pour le reste, on retrouve la patte de l'auteur, ses chapitres courts, sa façon de raconter une histoire en l'adjoignant de nombreux référents littéraires, musicaux, cinématographiques, publicitaires, l'abondance de marques qui rappellent ses origines sociales mais un humour cynique malheureusement beaucoup moins présent, comme si l'auteur avait cru jugé bon de modérer ses propos pour être enfin pris au sérieux.
Certes, cette lecture ne fut pas une torture mais je préférais néanmoins quand l'auteur se mettait en scène sous un angle fictionnel.

D'autres avis chez BOB !

"Un roman français" fait partie de la sélection française du Prix QD9 lancé par Cécile.

5 février 2011

Et devant moi, le monde - Joyce Maynard


Publiée en 1998 et traduite en français cette année, "Et devant moi, le monde" est l'autobiographie de Joyce Maynard, journaliste et romancière américaine à qui l'on doit notamment les romans "Prête à tout" et "Long week-end".

Issue d'une famille formée par une soeur qui s'illustre dans plusieurs concours littéraires, une mère intrusive qui la prive de son intimité et un père dont l'alcoolisme demeure un sujet tabou, Joyce Maynard tente de trouver sa place au sein de cette tribu pour qui le bien-être passe après l'éducation et la réussite.
Etudiante à l'université de Yale, elle est une jeune femme repliée sur elle-même qui évite de se mêler à ses camarades et cultive plusieurs obsessions : rester mince, renoncer à sa virginité et connaître le succès.
A 18 ans, elle rédige un article pour le New York Times Magazine.
Ce témoignage qui laisse entrevoir le désenchantement de toute une génération suscite de vives réactions et vaut à la jeune femme de recevoir plusieurs centaines de lettres.
L'une d'entre elles, provenant d'un certain J.D Salinger, signe le début d'une longue correspondance entre la jeune étudiante et l'écrivain confirmé.
Il lui parle d'édition, d'homéopathie, de cinéma des années 30 et de ses enfants qui lui tiennent tant à coeur tandis qu'elle évoque ses cours et son quotidien sur le campus.
Flagorneur et bienveillant, l'écrivain se montre des plus enthousiastes quant à son talent et n'hésite pas à lui prodiguer des conseils visant à la détourner des personnes susceptibles de dénaturer son écriture.
Tombée sous le charme de l'homme avant l'oeuvre (qu'elle ne découvrira que plus tard) malgré une différence d'âge de 35 ans, la jeune Joyce voit en lui la seule personne en mesure de pouvoir la comprendre, lui qui tout comme elle vit dans la réclusion volontaire.
Elle n'hésite d'ailleurs pas à renoncer rapidement à sa bourse d'études pour vivre pleinement cette nouvelle passion fusionnelle à Cornish, la propriété de Salinger.
Mais au fil des jours, l'homme se montre de plus en plus critique et autoritaire à son égard, l'isolant des éditeurs et de sa famille et la sommant de renoncer aux futiles occupations de son âge pour se concentrer sur l'essentiel : l'écriture et la méditation.
Soumise à un régime alimentaire drastique et en proie à plusieurs blocages physiques et psychologiques, la jeune femme se montre prête à tout pour mériter l'attention de son "mentor" qui jugera bon de la rejeter sans plus d'explications.
Bien que de courte durée, cette relation destructrice continuera de la hanter bien des années plus tard...

Divisée en une vingtaine de chapitres, cette autobiographie retrace 3 périodes intimement liées de la vie de Joyce Maynard : l'avant, le pendant et l'après-Salinger.
Si le sujet au centre de cette autobiographie - la perversion narcissique- m'intéressait davantage que son aspect pipole, je dois bien reconnaître que je ne serai désormais plus en mesure de relire Salinger (pour autant que cela arrive un jour, "L'Attrape-coeurs" ne m'ayant pas plu du tout) sans penser à l'homme infect dépeint ici.
Et pourtant on ne peut pas dire que Joyce Maynard se perde en insultes à l'égard de cet homme dont elle ne diffuse d'ailleurs pas les lettres.
L'auteure qui a souffert toute sa vie du poids des non-dits a entrepris de se libérer de son passé de la façon la plus élégante qui soit, en laissant de côté le ton revanchard pour ne s'en tenir qu'aux faits (largement suffisants d'ailleurs que pour en déduire les conclusions qui s'imposent).
Comment peut-on prétendre aimer éperdument quelqu'un pour ce qu'il est pour ensuite le casser dans son être au point qu'il en reste affecté durant des années? Il est terrible de constater comme les faiblesses de cette jeune femme naïve et dépendante affective ont pu être exploitées par un homme plus âgé qu'elle soucieux de la transformer et qui, n'y parvenant pas assez à son goût, la congédie du jour au lendemain en la laissant endosser toute la culpabilité de cet échec.

" Un jour Jerry Salinger est le seul homme existant dans mon univers. Je m'en remets à lui pour me dire quoi écrire, quoi penser, quoi porter, quoi lire, quoi manger.
Il me dit qui je suis, qui je devrais être. Et le jour suivant, il n'est plus là.
Il m'avait décrit le chemin qui mène à l'illumination. Il eût fallu posséder un genre de discipline et d'abnégation que je n'avais pas, une capacité à s'oublier soi-même et à renoncer aux plaisirs matériels. Sur ce chemin, j'avais en permanence trébuché, sans jamais douter pourtant que c'était le bon. Sans Jerry pour me guider, je me sens abandonnée, perdue, pas simplement seule physiquement mais psychiquement bloquée.
Toute ma vie j'ai su ce qu'était la sensation de solitude. Mais jamais à ce point." p.267

Même si Joyce Maynard s'est reconstruit une vie après son éviction de la "secte Salinger", elle n'a jamais vraiment réussi à repartir à O malgré ses déménagements, son mariage, la naissance de ses 3 enfants, mais a continué à mener sa barque "malgré lui" avec encore le vain espoir qu'ils puissent un jour reprendre contact.
Mais lorsqu'elle entreprend de rédiger cette autobiographie, les résultats de ses recherches anéantissent sa dernière illusion. Il y eut d'autres lettres adressées à des femmes tout aussi jeunes.
Et voilà que 20 ans après la rupture, elle tombe sur l'une d'entre elles alors qu'elle est venue dire adieu et poser une seule question à cet homme qu'elle a tant aimé et qui continue de la mépriser pour ses choix de vie pourtant fort courageux.

" Le problème avec toi, Joyce, c'est que...tu aimes le monde.

- Oui, dis-je en souriant. Oui, c'est vrai, j'aime le monde. Et j'ai élevé trois enfants qui eux aussi aiment le monde.

- Je savais que tu arriverais à ça. A rien.

Lui, l'homme qui m'a dit que, s'il savait une chose, c'était que, quoiqu'il arrive, je serais un véritable écrivain. Personne, jamais, ne pourrait me retirer cela, m'avait-il dit un jour. N'oublie jamais ça. Ne laisse personne te dire ce que tu dois faire. Ne fais confiance qu'à la force de ta voix.

" Je voulais te dire au revoir, Jerry.

- Je n'entends pas bien. " Il dit ces mots avec moins de force. Je n'arrive plus à sourire. Je ne ressens qu'une bouffée de chagrin. Cet homme a été quelqu'un de merveilleux. Je l'ai aimé plus que tout au monde. Je n'ai aucune envie de le blesser. Juste de le laisser enfin partir.

" Tu comptes exploiter ton histoire avec moi je suppose?


- Il est sans doute vrai que quelqu'un sur le pas de cette porte a exploité quelqu'un d'autre en face de lui. Je te laisse méditer sur qui est qui. "

Alors que je m'éloigne, il me lance encore une chose, les derniers mots que j'entendrai probablement du premier homme que j'ai aimé.
" Je ne t'ai pas exploitée! crie-t-il. Je ne te connais même pas." " p.423

J'ai réellement été révoltée par ce parcours de femme si violemment marqué par la manipulation d'un seul homme comme j'ai été touchée par l'écriture pudique et tout en dignité de Joyce Maynard qui parvient à sortir du champ circonscrit de l'intimité pour s'étendre à un puissant témoignage sur la violence psychologique et ses ravages.

" Un jour, Joyce, il y aura une histoire que tu auras envie de raconter pour la seule raison qu'elle a plus d'importance pour toi que n'importe quelle autre. Tu laisseras tomber l'habitude de faire ce que tout le monde te dit de faire. Tu arrêteras de regarder derrière ton épaule pour vérifier que tu contentes tout le monde, et tu écriras simplement ce qui est réel et vrai. L'écriture sincère énerve toujours les gens, et ils trouveront toutes sortes de moyens de transformer ta vie en enfer. Un jour, dans très longtemps, tu cesseras de te soucier de savoir à qui tu plais ou ce qu'on dit de toi.
C'est à ce moment-là que tu produiras enfin le travail dont tu es capable." p.185


Un autre avis : Gwenaëlle


3 février 2011

Un dé en acajou a disparu et autres nouvelles économiques - Christian Ost



"Un dé en acajou a disparu et autres nouvelles économiques" est un recueil de 11 nouvelles issues de la plume de l'économiste belge Christian Ost. Il sera disponible en librairie dès le 10 février.

Le recueil porte le titre de la première nouvelle qui traite de la téléportation et de ses répercussions imprévues sur la vie humaine.
Il est également question d'un dialogue de sourds entre un homme et une société qui commercialise du matériel de jardin, d'une illustration de la théorie des anticipations à travers l'usure d'un couple, d'un jeu de rôle sur le monde de l'entreprise, des conséquences de la mondialisation sur la vie d'une femme, d'une émission de télé-réalité inédite à l'issue inattendue, d'un hacking économique, du financement particulier d'un village perdu, de la gestion de crise dans différents milieux, d'une rencontre entre un expert en objets d'arts et un passionné de Duke Ellington ou encore d'un dangereux vol transatlantique.

Si ces nouvelles se déclinent dans des genres bien différents, toutes s'inscrivent dans un même souci de doter l'économie d'une dimension foncièrement humaine.
Christian Ost reprend à sa sauce des théories économiques souvent ronflantes pour les non-initiés et nous emmène dans un univers où plane une marge d'incertitude qui implique que les chiffres font place aux contingences.
A trop vouloir maîtriser leur environnement en se reposant sur des prévisions statistiques, les personnages de ces nouvelles se sont abrités derrière une sécurité qui s'avère illusoire. Leurs certitudes se sont vues ébranlées par les aléas de la vie et la perte de contrôle qu'occasionne une situation nouvelle fait basculer leur quotidien de façon inattendue.
Finalement, l'anticipation n'empêche pas l'arrivée d'un mauvais coup du sort et peut même dans certains cas provoquer la situation tant redoutée...

" - Aude, a dit la maîtresse, puisque tu es la première de classe, tu dirigeras l'entreprise.

J'étais un peu surpris de ce que disait la maîtresse. Si les premiers de classe sont les chefs des entreprises, pourquoi est-ce que papa dit toujours "cet imbécile de patron, il comprend jamais rien". " p.37

J'ai beaucoup aimé la façon dont l'auteur démystifie l'économie pour se centrer sur l'humain et démontrer le caractère aléatoire et fragile de l'existence.
L'auteur a recours à des personnages que l'on pourrait croiser dans la vie de tous les jours et les situations décrites, bien que parfois cocasses, nous parlent toutes tant elles réfèrent à certaines de nos craintes ou évoquent en nous un goût de déjà vu de par leurs références à l'actualité.

" - Pour nous, la leçon est claire, fait remarquer Ed. Si le système économique, financier et monétaire américain est solide, il a son talon d'Achille : l'information statistique qui est censée révéler la vérité.

- En fait, conclut Mark, l'édifice économique est semblable à une tour de verre et d'acier qui paraît bien ancrée dans le sol, mais qu'un impact peut déstabiliser. Et la tour s'effondre..." p.80

Le thème central de ce recueil - l'incertitude - favorise des nouvelles aux chutes souvent surprenantes, tantôt drôles tantôt dramatiques, qui donnent à réfléchir sur bien des choses qui nous échappent.
Un ouvrage intelligent à la fois didactique et littéraire dont je me suis régalée et que je ne peux que vous conseiller !

Un grand MERCI aux éditions de m'avoir offert ce livre !