29 avril 2011

Tous crocs dehors - Lunatik


En librairie depuis le 15 avril, " Tous crocs dehors " est un recueil de nouvelles nées sous la plume du français Lunatik.

"Tous crocs dehors" comporte 17 nouvelles ainsi que 3 textes que je qualifierais d'hommages. Deux d'entre eux, très sensuels et faisant office d'interludes, s'adressent à des femmes tandis que le dernier - qui clôture d'ailleurs le recueil de façon très habile - apparaît comme un adieu, une mise à distance de l'auteur à son héros.
Il est très rare qu'un recueil de nouvelles emporte mon adhésion dans son intégralité. J'ai ainsi pu constater qu'au sein de celui-ci, certaines nouvelles sortaient vraiment du lot, allant jusqu'à me faire l'effet de véritables coups de coeur.
Ce fut le cas de "Venez me chercher" - un texte émouvant sur l'adoption -, d'"Une affaire de priorités" et de "Plumes d'anges et poule au pot" - deux histoires terribles chacune à leur manière, l'une poussant à devenir parano, l'autre à se tourner vers le végétarisme - et surtout de "Raconte-moi une histoire" qui, à travers les mots d'une adolescente, présente une version assez cocasse du "Petit Chaperon Rouge".

" Il était une fois en de lointaines contrées, genre au fin fond de la Creuse, une fille qui ne connaissait pas grand chose de la vie. Elle habitait dans un bled paumé et elle s'habillait comme une plouc.
Elle n'était pas con, elle était même souvent première de sa classe mais en matière de fringues, elle avait des goûts de chiottes. Et c'était pire encore depuis qu'elle avait assisté à un spectacle des Wriggles.

- C'est quoi les Warg-trucs?

- Tu sais, c'est les types habillés tout en rouge qui chantent des belles chansons rigolotes. Je t'ai emmenée au concert cet été, tu te souviens?

- Ah oui oui, même qu'ils avaient des capuches et qu'ils sautaient partout.

- Ouais, voilà c'est ça.

Bon, ben la fille-là, elle est fan des Wriggles et elle s'habille pareil : pantalon de survêt et sweat à capuche rouge pétant. Du coup, tout le monde la surnomme le Petit Chaperon rouge, parce qu'en plus, elle fait un peu nabot pour son âge.
Dans les bouquins pour les mômes, on lui donnerait dix ans mais en fait elle en a presque quinze.
Elle vit avec son père, qu'est divorcé, et elle va souvent voir sa grand-mère, qui crèche pas loin dans une vieille caravane. Ils n'ont pas beaucoup de thune dans la famille.
Un jour, son père lui dit : "Ca fait longtemps que t'es pas allée visiter Mémé. Elle serait contente de te voir un peu. T'as qu'à lui amener le reste de nouilles dans un Tupperware."
Alors la voilà partie, sac au dos, avec ses nouilles à la tomate plus deux ou trois bricoles dont elle sait que Mémé est souvent à court : de la colle à dentier, un rasoir Bic pour ses poils de menton, le télé Z de la semaine, un paquet de clopes et du PQ parfumé." p.13

Mais attention toutefois ! Car si celle-ci fait montre d'une douce cruauté, les autres nouvelles se veulent globalement beaucoup plus amères.

" A mon retour, ton ventre s'est arrondi. J'ai commencé par compter les semaines, pour savoir, pour être sûr. J'aurais préféré éviter le cliché numéro 139 bis, celui qui fait mal aux tripes et qui a les yeux de mon meilleur pote.
Je me console dans l'alcool; au moins, tu es là. A chaque nouveau départ, tu es un peu plus belle, je me sens un peu plus con.
Au deuxième coucou dans mon nid, je décide d'assurer moi-même ma descendance.
Le prochain marmot que tu ramèneras de la maternité aura mes cheveux noirs et mon nez busqué, il aimera les tempêtes, il voudra être marin, comme son père, il comprendra les départs." p.6

Dans un style mordant teinté de cynisme, l'auteur excelle à malmener ses personnages, figures souvent égarées, solitaires, animées par une colère intérieure et un sentiment d'injustice qui les amènent à vouloir rétablir l'équilibre, en recourant à la plus implacable des vengeances.
Les situations qu'ils traversent se révèlent violentes à différents niveaux, ce qui réserve des chutes extrêmes et souvent choc dont on ne se relève pas facilement.
Seule ombre au tableau, la nouvelle " La fille au bout du quai", que j'ai trouvé bâclée et en contraste total avec le reste du recueil (enchaînement maladroit entre les idées et style pauvre).
Une "erreur de parcours" qui ne devrait toutefois pas vous détourner de ce puissant recueil !

Un grand MERCI aux éditions de m'avoir offert ce livre !

26 avril 2011

Madman Bovary - Claro


Paru en 2008, "Madman Bovary" est un roman de l'écrivain français Christophe Claro, également auteur d'"Eloge de la vache folle", "Bunker anatomie" ou plus récemment de "CosmoZ".

Comme je l'ai signalé il y a quelques jours, j'avais prévu de clôturer mon "cycle Bovary" par la lecture de "Madman Bovary".
Hélas, dès les premières pages, j'ai rapidement senti que ce roman n'était pas du tout fait pour moi.
Pourtant l'idée de départ de ce détournement littéraire avait tout pour me tenter : l'histoire d'un homme qui, suite à sa rupture avec une certaine Estée, décide de se replonger dans une énième lecture de "Madame Bovary", avec l'espoir de se guérir de son chagrin d'amour.

" Tout prendre d'Emma, donc, lui faire payer Estée, l'étriller, la plier, l'engueuler, l'aider à ravaler jusqu'à mon nom. La sommer. Pardon, Emma, mais c'est comme ça, ici-là, que ça se passe, que ça va désormais se passer. Le choix, je ne l'ai pas." p.41

Une belle illustration du pouvoir de la lecture et des résonances que peuvent avoir certaines oeuvres dans nos vies, me disais-je.
Etant fraîchement sortie du roman de Flaubert, je m'attendais à retrouver certaines de mes impressions de lectrice.
Or rien ne s'est passé avec ce roman. Si j'ai bien compris que l'intention du narrateur était de se glisser dans les moindres recoins de "Madame Bovary", allant jusqu'à se substituer au chapeau de Charles, à la jambe fracturée du père Rouault ou à la cravache d'Emma, je suis restée complètement hermétique au "trip" de l'auteur.
J'ai buté sur chaque mot - incapable de suivre le fil de cette écriture vertigineuse - pour finalement jeter l'éponge page 74.
Il serait difficile et quelque part injuste de ma part de vous dissuader d'une lecture que je n'ai à l'évidence pas comprise ( et abandonnée de surcroît) ...
En revanche, je vous encourage vivement à feuilleter ce roman en librairie afin d'évaluer si son style particulier est en mesure de vous plaire...

"Le fait est que depuis quelques pages - faute de m'échapper enfin de ces flammes bovaryennes qui peinent à me réchauffer - je me découvre un talent nouveau, ou ancien, peu importe, car c'est un chouette talent : celui d'entrer dans le corps d'Emma et d'en sortir, à ma guise, afin d'y pondre des pensées que mon sperme spectral viendra féconder, ou d'y faire des vagues, en surfeur aveugle mais adroit, musclé, chic, c'est facile, le corps d'Emma n'est pas aussi étriqué qu'il y paraît, même s'il est vide et vain.

Il a en outre l'avantage de ne comporter ni proviseur ni pupitre ni casquette ni ridiculus sum.

Certes, j'y croise des vestiges de ses navrantes lectures, des crottes de Paul, des ongles de Virginie, des charbons laissées par une maisonnette en bambou, ainsi que le cri muet du nègre Domingo ou la queue pleine d'allégresse du chien fidèle mais surtout l'amitié douce de quelque bon petit frère qui va chercher pour vous des fruits rouges dans des grands arbres plus hauts que les clochers ou qui court pieds nus sur le sable - mais ce n'est rien, vraiment, en comparaison de la bande-son qui y braille.
Oui, le corps d'Emma est une discothèque de province, c'est le Louxor, le Tremplin, le Wake Up ou le Pim's, bref, un de ces night-clubs où il fait bon s'ébattre et suer sans pour autant recommencer les guerres du Péloponnèse. " p.45
" Charles refile sa bimbo à un boyz givenchysé et va se commander un london breeze (50ml de vodka 02 givrée, 15ml de vin muscadet, raisins sans pépins blancs svp !), puis, un pouce pressé contre une narine, fait signe à Emma de le suivre aux toilettes, ça tombe bien, elle connaît le chemin, cinq minutes plus tard les voilà tout empoudrés du cervelet, leurs cell-phones Vertu à boîtier platine sertis d'armoiries en rubis (dont la composition en céramique est similaire à celle des navettes spatiales) se sont allègrement bloothoothé la fente APN, il lui plaît, elle lui plaît, ils retournent au bar, exigent en reniflant deux quarter deck (2cl de crème de cerise, 1cl de cointreau, 2cl de rhum, 10cl de jus d'orange + 3 traits de citron vert, frappez le tout svp !) et s'entre-tâtent. Autour d'eux on cause affaires, on se fait des niches dans le dos, on s'excite d'avance à la gaieté, on rit sur Nirvana." p.49

24 avril 2011

Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary - Philippe Doumenc


"Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary" est un roman publié en 2007 et signé Philippe Doumenc, écrivain français également auteur de "Les Comptoirs du sud" et d' "Un Tigre dans la soute".

Suite au décès d'Emma Bovary, les deux médecins présents au moment de sa mort rendent un rapport qui mentionne des traces de contusions sur le corps de la défunte ainsi qu'une déclaration de celle-ci à l'un d'entre eux juste avant sa mort. Seuls quelques mots prononcés, "Assassinée, pas suicidée", qui suffisent à mettre en doute la thèse du suicide pour envisager le meurtre.
Deux policiers sont envoyés à Yonville pour mener cette contre-enquête. Nouveaux éléments, secrets, témoignages contradictoires, faux aveux, suspects multiples. Mais qui est donc le coupable?

"Quittant la Huchette, Remi songeait qu'entre son mari imbécile, un Homais libidineux, ce Lheureux escroc qui lui faisait signer des papiers et ce dandy cynique, Emma ne voyait pas trop de beau monde à Yonville !
Y avait-il le choix?
Le chemin descendait vers la vallée et la rivière. Les champs avaient perdu leur blancheur uniforme, mille ruisseaux se formaient, les corneilles éternelles s'envolaient devant eux. La voiture conduite par Girart cahotait et, du haut de ses vingt-cinq ans, Remi ne pouvait s'empêcher de songer à Emma.
Elle avait dû être une enfant rieuse, recevoir une éducation modèle chez les bonnes soeurs de Rouen, pratiquer le piano et ces romans ingénus que les prêtres laissent aux mains des jeunes filles.
Elle avait, pauvre rêve ! voulu aimer et être aimée, ne trouvant pour s'y jeter que les bras malhabiles du pauvre Charles puis de quelques autres bien médiocres.
Et maintenant un jeune homme chargé d'une mission de police se trouvait dans cette voiture, évaluant tranquillement à son sujet les possibilités de meurtre et de chantage ! " p.145

Avant de m'atteler à cette lecture, j'ai jugé bon de relire "Madame Bovary" afin de me remettre en mémoire l'histoire et les personnages habitant ce récit.
Bien que je ne la regrette en aucune façon, cette relecture ne fut pas indispensable étant donné que l'auteur a pris soin de contextualiser cette contre-enquête en opérant un retour en arrière sur les dernières pages du roman initial et en brossant les portraits des différents protagonistes.
Je dois dire que j'étais plutôt sceptique en commençant ce roman. Selon moi, le suicide était incontestablement la seule fin possible pour Emma et j'étais d'avis que tout le roman de Flaubert était construit de manière à converger naturellement vers cette seule fin.
Mais au fil de ma lecture, j'ai découvert que plusieurs zones d'ombre - notamment cette fameuse lettre laissée par Emma avant son décès et sur laquelle Flaubert ne revient pas - planaient sur la mort d'Emma au point de justifier le postulat de l'auteur.
Les témoignages des villageois m'ont fait sourire à plusieurs reprises dans la mesure où, ayant fraîchement l'histoire originale en tête, je reconnaissais assez facilement les mensonges dans les déclarations des uns et des autres.

Les choses se sont corsées ensuite, au moment où les uns commencèrent à se rétracter, les autres à passer facilement aux aveux, ce qui donna lieu à de (trop) nombreux rebondissements.
J'avais l'impression que le policier n'avait pas à mener l'enquête mais tout simplement à attendre que le coupable lui arrive tout cuit dans le bec.
De plus, si j'ai bien aimé la conclusion - qui repose sur, comme le dit l'auteur, "une faiblesse dans le scénario élaboré par Flaubert" et complique quelque peu la version originale sans toutefois la dénaturer - , j'ai beaucoup moins apprécié la façon dont l'auteur s'est ré-approprié les personnages de Flaubert.
Doumenc s'est risqué à gonfler les caractéristiques de chacun pour en faire de présumés coupables et semer le doute dans l'esprit du lecteur. Et tout le monde en prend pour son grade, y compris la victime (déjà bien assez mal lotie dans la version initiale) dont l'image se veut salie- et pas qu'un peu - par la trop grande liberté prise par l'auteur qui a jugé bon de faire oublier toutes les prétentions romantiques d'Emma (quand même au centre de l'oeuvre de Flaubert).

Bref, une belle idée de départ, une habile conclusion mais une progression entachée par des coups de théâtre à répétition et des personnages grossièrement pervertis.

"Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary" était une lecture commune avec Manu, dont je file voir le billet !

D'autres avis chez BOB !

Je n'en ai pas encore tout à fait fini avec Emma Bovary puisque mon prochain billet portera sur "Madman Bovary" de Claro. Affaire à suivre :)

21 avril 2011

" Ô mon George, ma belle maîtresse... " - Alfred de Musset et George Sand


"Ô mon George, ma belle maîtresse" est un recueil regroupant la majorité des lettres échangées entre les écrivains George Sand et Alfred de Musset.

" Mais quand tu seras seul, quand tu auras besoin de prier et de pleurer, tu penseras à ton George, à ton vrai camarade, à ton infirmière, à ton ami, à quelque chose de mieux que tout cela ; car le sentiment qui nous unit s'est formé de tant de choses, qu'il ne peut se comparer à aucun autre.
Le monde n'y comprendra jamais rien, tant mieux, nous nous aimerons, et nous nous moquerons de lui." p.31

Juin 1833. A 29 ans, forte de ses succès littéraires "Indiana" et "Valentine", George Sand a le vent en poupe. Malheureusement, les amours ne suivent pas.
Mais lors d'un dîner, elle fait la rencontre du vicomte Alfred de Musset, de 6 ans son cadet, qu'elle invite à venir lui rendre visite.
Une correspondance débute alors mais s'interrompt rapidement car les deux écrivains, devenus amants, ne se quittent plus.
Lorsque George Sand contracte une dysenterie qui l'oblige à garder le lit, Musset préfère aller voir ailleurs que de rester au chevet de sa bien-aimée.
Alors qu'il tombe malade à son tour, elle se réfugie dans les bras de son médecin, Pietro Pagello.
Les échanges épistolaires reprennent de plus belle, les amants se rabibochent, se séparent à nouveau et remettent le couvert jusqu'au début de l'année 1835 où George Sand décide de quitter définitivement Musset.

" Mais ton coeur, mais ton bon coeur, ne le tue pas, je t'en prie. Qu'il se mette tout entier ou en partie dans tous les amours de ta vie, mais qu'il y joue toujours son rôle noble, afin qu'un jour tu puisses regarder en arrière et dire comme moi, j'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois mais j'ai aimé.
C'est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.
J'ai essayé ce rôle dans les instants de solitude et de dégoût, mais c'était pour me consoler d'être seul, et quand j'étais deux, je m'abandonnais comme un enfant, je redevenais bête et bon comme l'amour veut qu'on soit." p.62

La première lettre de ce recueil date du 23 juillet 1833 mais les archives attestent de l'existence de lettres datant du mois de juin. J'ignore pour quelle raison l'éditeur a jugé bon de sucrer ces premiers échanges...
Dans cette lettre, Musset témoigne à George Sand sa profonde admiration pour son roman "Lélia" et lui déclare ses sentiments dès le lendemain tout en appréhendant sa réaction.
La correspondance reprend à Venise le 27 mars 1834 lorsque Musset, guéri, regagne Paris sans George Sand.
Il reconnaît lui avoir fait beaucoup de mal mais se dit heureux de ne pas l'avoir détournée de l'amour puisqu'elle peut compter sur un homme qui l'aime.
Restée sans nouvelles de sa part, George Sand s'inquiète de son état de santé et affirme ne rien regretter de leur histoire puisque c'était là leur destinée que de ne jamais se comporter en amants ordinaires.
Elle lui fait part de ses tendances au spleen, de ses soucis financiers (son orgueil lui fera d'ailleurs toujours refuser son aide), lui soumet des manuscrits et le charge de certaines courses (la fin de chacune de ses lettres se veut d'ailleurs étonnamment pragmatique).
De son côté, Musset tente péniblement de reprendre goût à la vie et à l'amour.
Malgré leur séparation, tous deux continuent à maintenir cette amitié singulière qui les unit tendrement.

" Dans mes jours d'angoisse et d'injustice, j'étais jalouse de tous les biens que tu pouvais et que tu devais me préférer. Aujourd'hui je t'aime sans fièvre et sans désespoir. Je voudrais te mettre sur le trône du monde et t'inviter à venir quelquefois fumer et philosopher dans ma cellule.
Te voir arrivé à l'éclat que doit avoir ta destinée et te voler au monde de temps en temps pour te donner les joies du coeur, c'est ce que j'ambitionne et c'est ce que j'espère." p.41

Ces lettres sont cependant pleines de contradictions ! Tous deux se souhaitent l'un à l'autre d'être heureux et de trouver l'amour mais pleurent à l'idée d'en être exclus.
Sand requiert la présence de Pagello pour prendre soin d'elle mais éprouve tout autant le besoin de materner un homme, en l'occurrence Musset qu'elle se plaît à appeler son "enfant".
Quant à Musset qui se dit heureux de la savoir comblée par un autre, ses dernières lettres montrent bien que leur amitié ne lui a jamais suffi.
La correspondance s'achève d'ailleurs brutalement, lorsque George Sand comprend que leur bonheur à tous les deux exige qu'ils rompent tout contact.

" Qu'allons-nous devenir? Il faudrait que l'un de nous eût de la force, soit pour aimer, soit pour guérir, et ne t'abuse, nous n'avons ni l'une ni l'autre, et pas plus l'un que l'autre." p.135

J'ai passé quelques heures dans l'intimité de deux êtres très doués pour parler d'amour, beaucoup moins pour le vivre sans se déchirer...
Comme le dit très justement George Sand, "L'amour c'est le bonheur qu'on se donne mutuellement". A l'évidence, ces deux-là ne savaient pas s'aimer sans se faire souffrir l'un et l'autre.
Dommage pour eux, mais tant mieux pour le lecteur qui peut se délecter de cette prose passionnée et délicieusement surannée.

" Exercer les nobles facultés de l'homme est un grand bien, voilà pourquoi la poésie est une belle chose. Mais doubler ses facultés, avoir deux ailes pour monter au ciel, presser un coeur et une intelligence sur son intelligence et sur son coeur, c'est le bonheur suprême. Dieu n'en a pas fait plus pour l'homme; voilà pourquoi l'amour est plus beau que la poésie." p.78

La correspondance entre George Sand et Alfred de Musset est consultable dans son intégralité et gratuitement sur le site Gallica. Cliquez sur l'image ci-dessous pour y accéder.

Correspondance de George Sand et d



19 avril 2011

Madame Bovary - Gustave Flaubert


Paru en 1857, "Madame Bovary" est un roman du célèbre écrivain français Gustave Flaubert, également auteur de "L'Education sentimentale" et de "Salammbô".

"Madame Bovary" retrace le parcours - ou disons plutôt la descente aux enfers - d'Emma Bovary, une jeune femme romantique toujours à l'affût du moindre événement et qui, pour échapper à l'ennui du quotidien, s'abandonne aux rêveries que lui inspirent ses lectures, nourrissant sans cesse l'espoir qu'un jour, le rêve se confonde avec la réalité.

Charles Bovary, médecin à Tostes, est dépêché à la ferme des Bertaux pour remettre en place la jambe cassée de Mr Rouault, le maître des lieux.
Tombé sous le charme de sa fille Emma, Charles s'empresse de l'épouser. Si le couple affiche un bonheur paisible en apparence, il n'en est rien en réalité. Seul Charles est heureux. Emma, elle, ne ressent en rien la passion telle que décrite dans ses lectures.
Les journées se suivent et se ressemblent et, plus le temps passe, plus Emma se détache de ce mari dont le manque de curiosité et d'ambition l'irrite au plus haut point.
Sujette à de fréquentes sautes d'humeur, la jeune femme se laisse tant aller que son mari, dans l'idée qu'un changement de décor lui ferait le plus grand bien, décide de quitter Tostes pour rejoindre Yonville. Emma est alors enceinte.
C'est dans ce bourg qu'Emma connaîtra les joies éphémères de l'adultère auprès de Léon et de Rodolphe. Mais les dettes, engrangées à la mesure de ses caprices, et les déceptions s'accumulent au point de la faire renoncer définitivement à ce bonheur idyllique auquel elle aspirait tant.

" Au fond de son âme, cependant, elle attendait un événement. Comme les matelots en détresse, elle promenait sur la solitude de sa vie des yeux désespérés, cherchant au loin quelque vague blanche dans les brumes de l'horizon.
Elle ne savait pas quel serait ce hasard, le vent qui le pousserait jusqu'à elle, vers quel rivage il la mènerait, s'il était chaloupe ou vaisseau à trois ponts, chargé d'angoisses ou plein de félicités jusqu'aux sabords.
Mais, chaque matin, à son réveil, elle l'espérait pour la journée, et elle écoutait tous les bruits, se levait en sursaut, s'étonnait qu'il ne vînt pas, puis au coucher du soleil, toujours plus triste, désirait être au lendemain." p.73

Je me souviens encore de l'impression d'ennui que m'avait laissé ce roman lu pour la première fois à l'âge de 16 ans. Je n'en avais d'ailleurs gardé qu'un souvenir diffus qui, à peu de choses près, pourrait se résumer aux propos tenus par Jean Teulé lors d'une émission de La Grande Librairie : "Madame Bovary, c'est l'histoire d'une bourgeoise qui s'emmerde en province."
Quand Manu m'a proposé une lecture commune de "Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary" (mon billet sera publié jeudi), j'ai saisi l'occasion de me replonger dans le texte original pour me rafraîchir la mémoire mais aussi pour donner une seconde chance à ce roman dont les nuances, je m'en rends compte, m'avaient échappées à l'adolescence.
A l'époque, j'avais pris en pitié cette pauvre Emma, victime de ce mari qui, faisant tout de travers, ne réussissait pas à la rendre heureuse. Mon avis est à présent beaucoup plus contrasté.

A l'évidence, Emma ne fait pas partie de ces êtres qui peuvent trouver le bonheur en eux-mêmes mais bien de ceux dont la félicité repose entièrement sur l'amour de quelqu'un.
Or cette personne n'est pas son mari.
Certes, Charles Bovary apparaît comme un homme plutôt fade et ennuyeux.

" La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le monde y défilaient, dans leur costume ordinaire, sans exciter d'émotion, de rire ou de rêverie. Il n'avait jamais été curieux, disait-il, pendant qu'il habitait Rouen, d'aller voir au théâtre les acteurs de Paris.
Il ne savait ni nager, ni faire des armes, ni tirer le pistolet, et il ne put, un jour, lui expliquer un terme d'équitation qu'elle avait rencontré dans un roman." p.48

Mais le dévouement extrême qu'il porte à Emma est si touchant que j'en suis venue à mépriser cette femme de ne pas réussir à l'aimer malgré tout, ou du moins à lui accorder une chance.
Or dès le début, les dés sont pipés.
Au motif de sacrifier sa vie, Emma agit sans scrupules envers sa famille. Egocentrée, elle néglige sa fille, trompe son mari, dilapide son argent et le manipule afin qu'il cède au moindre de ses caprices.
Et Charles, trop aveuglé par son admiration pour elle, lui passe tout, se contente du peu d'affection qu'elle consent à lui donner et ne se rend compte de rien !
L'absence de communication dans ce couple est à ce point flagrante qu'elle en devient désespérante. Extrême dans son indifférence à l'égard de son mari comme dans sa tendresse envers ses amants, Emma ne peut s'exprimer qu'à travers des crises de nerfs et Charles ne pense jamais à lui demander la raison de ses tourments.
Des personnages secondaires beaux parleurs, intéressés et lâches (la palme revenant à Monsieur Lheureux, le boutiquier) aux décors inanimés, tout concourt à pousser Emma à mettre fin à l'agonie de toute une vie pour privilégier la délivrance.

Amateurs de rebondissements et d'action, passez votre chemin. Fin psychologue, Flaubert excelle à faire ressentir progressivement au lecteur l'ennui, la frustration, l'inertie et la platitude d'une existence qui mène au désespoir et au renoncement.
Le style est travaillé, parfois un peu poussiéreux pour le lecteur contemporain mais toujours flamboyant.
Bien que j'aie relevé quelques longueurs (mais quel roman classique n'en a pas?), j'ai réussi à passer au travers, non en sautant des pages comme la première fois, mais en sachant apprécier le travail et le talent de l'auteur à installer et maintenir une ambiance de bout en bout comme à doter ses personnages d'une consistance et d'une trajectoire rectiligne qui les mène exactement là où ils doivent être.
Le roman converge naturellement vers une fin sans réelle surprise (le mot "fatalité" est d'ailleurs prononcé par Charles Bovary dans les toutes dernières lignes) mais néanmoins bouleversante, moins pour Emma que pour Charles (enfin c'est mon avis).

" N'importe! elle n'était pas heureuse, ne l'avait jamais été. D'où venait donc cette insuffisance de la vie, cette pourriture instantanée des choses où elle s'appuyait?
Mais, s'il y avait quelque part un être fort et beau, une nature valeureuse, pleine à la fois d'exaltation et de raffinements, un coeur de poète sous une forme d'ange, lyre aux cordes d'ayrain, sonnant vers le ciel des épithalames élégiaques, pourquoi, par hasard, ne le trouverait-elle pas? Oh! Quelle impossibilité ! Rien, d'ailleurs, ne valait la peine d'une recherche ; tout mentait ! Chaque sourire cachait un bâillement d'ennui, chaque joie une malédiction, tout plaisir son dégoût, et les meilleurs baisers ne vous laissaient sur la lèvre qu'une irréalisable envie d'une volupté plus haute." p.335

Si vous ne l'avez pas encore vu, je vous recommande l'adaptation cinématographique réalisée par Claude Chabrol en 1991, avec en vedette Isabelle Huppert dans le rôle d'Emma Bovary et Jean Yanne dans celui de l'apothicaire.


Un classique à (re) découvrir ! Je ne suis d'ailleurs pas prête à le quitter de sitôt puisque, comme indiqué au début de ce billet, je compte vous parler bientôt de "Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary" de Philippe Doumenc ainsi que de "Madman Bovary" de Claro.

NDLR : le hasard veut que je publie ce billet aujourd'hui, le jour de la Sainte-Emma. Bonne fête à elles :)

D'autres avis chez BOB !

16 avril 2011

Pauline - George Sand


"Pauline" est un roman - publié en 1839 - de l'écrivaine française George Sand, célèbre notamment pour ses romans "La mare au diable" et "La Petite Fadette" ou encore pour sa correspondance avec Alfred de Musset.

Vieille fille avant l'heure, Pauline vit à Saint-Front aux côtés de Madame D., sa mère aveugle dont elle assume la charge. Lorsqu'elle reçoit la visite de Laurence, son amie comédienne dont elle n'avait plus de nouvelles, elle réalise à quel point les récits de cette vie parisienne trépidante la renvoient à son existence solitaire et vide de sens.
Les deux amies entretiennent une correspondance régulière et la résignation douloureuse dans laquelle sombre Pauline ne manque pas de toucher le coeur de Laurence.
Ainsi, à la mort de Madame D., Laurence décide de prendre Pauline sous son aile et l'invite à quitter sa province pour venir emménager à Paris, dans la maison qu'elle partage avec ses deux soeurs et sa mère, Madame S.
Pauline semble trouver sa place dans la maisonnée mais les mois passant, elle commence à souffrir de ce que le cercle d'amis de Laurence ne soit composé que de gens plus âgés.
C'est alors qu'apparaît Montgenays, un jeune rentier vaniteux dont la fourberie ne manquera pas de semer la zizanie entre les deux amies...

Il y a quelques mois, je ne connaissais à peu près rien de l'univers de George Sand. Mais la lecture de la biographie rédigée par Evelyne Bloch-Dano, "Le dernier amour de George Sand", a réussi à piquer ma curiosité.
Lors d'un passage en librairie, je suis tombée sur "Pauline" dont le résumé et le format m'ont fait dire que ce récit serait la mise en bouche idéale pour découvrir la plume de George Sand.
A vrai dire, je suis plutôt satisfaite de ce choix !

" Il est des âmes qui ne manquent pas d'élévation, mais de bonté. On aurait tort de confondre dans le même arrêt celles qui font le mal par besoin et celles qui le font malgré elles, croyant ne pas s'écarter de la justice. Ces dernières sont les plus malheureuses ; elles vont toujours cherchant un idéal qu'elles ne peuvent trouver, car il n'existe pas sur la terre, et elles n'ont point en elles ce fonds de tendresse et d'amour qui fait accepter l'imperfection de l'être humain.
On peut dire de ces personnes qu'elles sont affectueuses et bonnes seulement quand elles rêvent." p.115

"Pauline" met en présence deux femmes issues de milieux radicalement différents. Tandis que l'une subit sa vie, l'autre la mène tambour battant.
Mais en dépit de ce qui les distingue, ces deux femmes sont liées par une amitié sincère et respectueuse, générée par une admiration réciproque.
Pourtant, sans se l'avouer, Pauline nourrit une certaine jalousie à l'égard de son amie qui bénéficie de toutes les attentions, un sentiment insidieux qui se muera progressivement en une haine dont Montgenays sera le catalyseur.

" On n'a jamais rien à espérer et l'on a tout à craindre d'un homme qui n'est ni bon, ni méchant." p.90

La première partie du roman offre une peinture assez piquante de la vie provinciale, les villageois étant présentés comme des gens simples facilement impressionnables, mesquins et à l'affût du moindre événement qui réussirait à pimenter leur routine.
Tous s'extasient à l'arrivée de Laurence qui est au centre de leurs préoccupations. Pauline est laissée de côté mais occupe le devant de la scène dans la seconde partie consacrée à l'intrigue amoureuse qui l'opposera à Laurence.
Je me suis beaucoup attachée au personnage de Laurence, cette jeune femme libre, courageuse, ne devant rien à personne, et qui voit ses bonnes intentions sans cesse mal interprétées par Pauline qui la considère comme sa rivale.
Le dénouement de cette histoire m'a laissé un goût amer dans la bouche, tant j'étais triste de voir ces deux amies se déchirer à cause des manipulations d'un seul homme !

Beaucoup ont reproché à l'auteure son penchant pour les discours moralisateurs insérés dans ses oeuvres. Il est vrai que dans ce roman, George Sand se pose en "juge et partie".
En tant que narratrice, elle donne à ses personnages certaines directions pour les condamner l'instant d'après et faire passer ses idées sur certains sujets comme les religions.

" Elle trouvait dans le catholicisme la nuance qui convenait à son caractère, car toutes les nuances possibles se trouvent dans les religions vieillies; tant de siècles les ont modifiées, tant d'hommes ont mis la main à l'édifice, tant d'intelligences, de passions et de vertus y ont apporté leurs trésors, leurs erreurs ou leurs lumières, que mille doctrines se trouvent à la fin contenues dans une seule, et mille natures diverses y peuvent puiser l'excuse ou le stimulant qui leur convient. C'est par là que les religions s'élèvent, c'est aussi par là qu'elles s'écroulent." p.67

Ce constat m'a plu dans la mesure où ces insertions m'ont permis de réfléchir tout du long à la portée de ce que j'étais en train de lire.
George Sand a parfaitement su rendre compte des pensées torturées de ses personnages et je dois bien avouer que sa grande maîtrise de la langue a forcé mon admiration ! J'ai hâte de découvrir ses autres oeuvres !

Un autre avis : Claudialucia

14 avril 2011

Louisa et Clem - Julia Glass


Après "Jours de juin" et "Refaire le monde", "Louisa et Clem" est le troisième roman de l'écrivaine américaine Julia Glass, publié cette année.

"Louisa et Clem" est l'histoire de deux soeurs aux existences bien différentes. Tandis que Louisa, l'aînée, se consacre à l'art et à la quête de l'homme parfait, Clem se tourne vers l'exploration et la défense du monde animal tout en multipliant les conquêtes.
Entre elles, c'est loin d'être l'amour fou mais passé la rivalité adolescente, alors que la distance et les impératifs de la vie les éloignent, les deux soeurs apprendront à apprécier leurs différences et à maintenir bon gré mal gré ce lien qui les unit.
" Plus ça change, comme on dit : je veux quand même rester le tyran bienveillant. Je veux briller davantage qu'elle, je veux être la plus sage, la plus intelligente, la plus aimée, mais je veux pouvoir garder un oeil sur elle. Elle est, après tout, irremplaçable." p.113

Dès le début, ce roman m'a beaucoup fait penser à "Un jour" de David Nicholls, notamment en raison de sa structure narrative particulière.
En effet, le lecteur rejoint tous les 3 ans les deux personnages qui, tour à tour et durant deux décennies, interviennent en tant que narrateurs.
Bien qu'il ne soit pas question ici d'amitié amoureuse mais bien de relation sororale, j'ai retrouvé ces mêmes antagonismes entre deux êtres toujours présents en cas de besoin mais décidément trop fiers que pour s'avouer leurs véritables sentiments.
Dans la même veine, "Louisa et Clem" m'a aussi énormément rappelé "Easter Parade" de Richard Yates, bien que Julia Glass ait choisi de traiter ce thème de façon un peu moins sombre.

Dans le premier chapitre, j'ai eu du mal à différencier Louisa de Clem. Autant dire que j'étais plutôt mal embarquée au départ.
Après réflexion, ce début chaotique m'a porté à croire que l'auteure souhaitait planter le décor en laissant clairement entrevoir la difficulté que connaissent ces deux soeurs à se partager le temps de parole, leurs interventions apparaissant comme autant de tentatives de relayer le lecteur à leur cause.
Dans ce premier chapitre, il est également question du fils illégitime de leur tante Lucy qui aurait été confié à l'une de leurs autres tantes pour éviter de jeter le déshonneur sur la famille.
Clem voudrait connaître l'identité de ce grand-oncle et l'on s'attend à ce que cette question revienne sur le tapis à un moment donné. Or l'auteure n'y revient pas.

Pour ma part, j'avoue avoir eu une nette préférence pour le caractère franc et aventurier de Clem même si je reconnais que j'ai fini par être agacée de son changement d'homme à chaque chapitre, un vrai défilé !
Je me suis d'ailleurs demandée pourquoi l'auteure s'échinait à brosser avec force détails tous ces portraits d'hommes alors qu'elle comptait les faire passer à la trappe au chapitre suivant...
Je n'ai donc pas vraiment réussi à m'attacher à ces personnages secondaires beaucoup trop furtifs à mon goût.
J'ai également éprouvé un certain ennui à la lecture de quelques scènes (notamment celle de l'opération du jeune grizzli) bien que je conçoive qu'elles soient nécessaires pour donner plus de relief aux personnages.

Bref, un premier chapitre plutôt déroutant (et décourageant), trop de personnages secondaires, des longueurs justifiées mais pas spécialement intéressantes. Reste le style, agréable sans être éblouissant.
Je n'écarte pas la possibilité de découvrir un jour un autre titre de cette auteure, mais il n'y a pas d'urgence.

" Ma mère est déjà dans la voiture, au volant. Elle prendra un martini dès que nous arriverons au restaurant. Quoi de plus naturel ? Mon père monte la garde près de la portière ouverte, attendant que Ray et moi arrivions. En m'approchant, je vois qu'elle lui tient la main.
Ils forment l'image de vies qui s'écoulent ensemble et séparément, ensemble et séparément.
J'imagine leur mariage comme une double spirale, deux âmes qui s'enroulent autour d'un axe commun, jointes sans jamais se toucher. Nos vies, celles de Clem et la mienne, ont eu cette forme, elles aussi, pendant un temps." p.383


Un grand MERCI à et aux de m'avoir offert ce livre !


12 avril 2011

Le réfectoire un soir et une piscine sous la pluie - Yoko Ogawa


Publiées respectivement en 1990 et 1991, "Un thé qui ne refroidit pas" et "Le réfectoire un soir et une piscine sous la pluie" composent ce recueil de l'écrivaine japonaise Yoko Ogawa.

Dans Le réfectoire un soir et une piscine sous la pluie, une femme sur le point de se marier emménage avec son chien dans la maison qu'elle rénove avant le retour de son futur mari.
Alors qu'elle s'affaire à repeindre la salle de bain, un jeune garçon et son père sonnent à sa porte.
L'homme lui pose une question avant de s'en aller, sans que la jeune femme ne sache au juste la raison de sa venue.
10 jours plus tard, elle les revoit postés devant le réfectoire d'une école. L'homme lui explique alors pourquoi le spectacle d'un réfectoire le soir lui évoque les mêmes sensations qu'une piscine sous la pluie...
" Au moment où il a prononcé ces mots, après un silence alors que nous avions épuisé le sujet des chiens, je n'ai pas du tout compris ce qu'il voulait dire. Cela m'a fait l'effet d'un vers extrait d'un poème contemporain ou d'une de ces phrases qui ponctuent les contes de notre enfance.

- Une piscine, sous la pluie? ai-je répété, en insistant sur chaque syllabe.

- Oui, une piscine sous la pluie. Vous n'avez jamais nagé dans une piscine sous la pluie?

- Eh bien...J'ai l'impression que oui, mais je me trompe peut-être.

- Quand je pense à une piscine sous la pluie, je suis pris d'une nostalgie difficilement supportable." p.35

Dans Un thé qui ne refroidit pas, une jeune femme se rend à l'enterrement d'un ancien camarade de classe et en sortant, revoit K. qui l'invite à dîner en compagnie de son épouse.
Charmée par le bonheur serein qui se dégage de ce couple, elle songe à son quotidien morne auprès de l'homme qui partage sa vie depuis 3 ans et décide de faire du rangement dans sa chambre.
Elle retombe alors sur un livre emprunté à la bibliothèque du lycée 10 ans plus tôt et apprend qu'il est le seul rescapé d'un incendie...

" Mes sentiments se succédaient avec la régularité et la sécheresse du sable s'écoulant dans un sablier. C'était sans doute parce que je ne perdais rien à cause de sa mort. Celle-ci était inorganique. Il n'y avait aucune tristesse larmoyante. C'était propre et sec. (Il s'agissait pourtant d'une noyade.) Pendant ces dix dernières années, ce garçon n'avait été présent que dans mon souvenir. Il n'y a rien d'organique dans la mémoire. Et il est très difficile d'y effacer le souvenir d'une personne en particulier. Même si la mémoire est personnelle, il est impossible, volontairement, d'y mettre de l'ordre en brûlant ou en jetant certains souvenirs. C'est pourquoi, malgré sa mort, je m'en souvenais encore." p.60

Ces deux nouvelles présentent un canevas pour ainsi dire identique. Les deux personnages féminins à l'avant-centre de ces récits sont des jeunes femmes isolées - l'une vivant seule dans une maison en attendant son fiancé, l'autre étant en ménage avec un homme qu'elle ne voit jamais - comme c'était déjà le cas dans "L'annulaire".
Toutes deux sont auréolées d'un certain mystère et trouvent un curieux réconfort dans le rangement associé à la tentative de mise en ordre de leurs souvenirs.
Des bribes de leur passé ne sont dévoilées au lecteur qu'à travers leur rencontre avec un tiers, une personne extérieure à leur entourage proche qu'elles croisent à un moment clé et qui s'avèrera déterminante pour la suite de leur vie.
On retrouve dans ces deux nouvelles ce goût de l'auteure pour ces décors nus, aseptisés par le rangement et qui permettent de se dégager d'une vue d'ensemble pour se focaliser sur certains objets significatifs.
Les thèmes abordés sont encore une fois ceux de la mémoire (principalement sensorielle), des traumatismes vécus durant l'enfance, de la solitude et de la mort, déclinés dans une écriture ciselée, méthodique, qui laisse volontiers place aux silences et aux zones d'ombres pour déboucher sur une fin propice à la circonspection.

Une fois de plus avec cette auteure, j'avais l'impression de savoir où elle voulait en venir au fil de ma lecture et puis est arrivée la chute (qui n'en est jamais vraiment une) qui m'a fait remettre en question ce que j'avais jusque là cru comprendre.
Mais comme nous le signale l'auteure, "dès qu'on essaie de définir quelque chose, la vérité se dérobe". Peut-être devons-nous accepter, dans la littérature comme dans la vie, que certaines choses nous échappent :)
J'ignore si tout cela vous paraît très clair mais il est certain que je souhaite prolonger ma découverte de cette auteure !

10 avril 2011

Le Voyage dans le passé - Stefan Zweig


"Le Voyage dans le passé" est une nouvelle inédite - exhumée en 1976 et traduite en français en 2008 - de l'écrivain autrichien Stefan Zweig.

" En vieillissant, on cherche sa propre jeunesse et on éprouve des joies stupides à partir de petits souvenirs." p.59

Après de brillantes études de chimie financées par de longues années de labeur, le jeune Louis entre au service du conseiller G., directeur de la grande usine de Francfort, dont il finit par devenir le secrétaire particulier.
Installé dans la maison du conseiller, le jeune homme ne se sent pas à sa place dans cet endroit qui le renvoie à son enfance servile et démunie. Il lui faudra faire la connaissance de l'épouse du conseiller pour que cette demeure lui devienne si familière qu'il n'aura plus envie de la quitter.
A l'annonce de son départ au Mexique pour deux ans, Louis prend conscience de son amour pour celle qu'il nommera sa "bien-aimée".
Forcés de vivre leur amour dans la clandestinité puis à distance, les deux amants connaîtront la guerre et avec elle, une séparation qui aboutira à des retrouvailles près de 9 ans plus tard...
Louis et sa bien-aimée retrouveront-ils cette flamme qui les liait autrefois ?

Il est des nouvelles qu'on apprécie pour ce qu'elles sont, des histoires courtes dont on sait qu'elles n'auraient pu être autrement.
Et puis il y en a d'autres comme "Le Voyage dans le passé" qui nous laissent cette impression frustrante de roman avorté, comme si quelqu'un avait arraché certaines pages pour les remplacer par un résumé de deux lignes.
J'ai eu le sentiment de lire en accéléré, au point qu'en tournant la dernière page je me suis dit "quoi, c'est tout?".
Je me suis demandée si au fond ce n'était pas là la volonté de l'auteur que de balayer la guerre d'un revers de plume pour nous faire ressentir à quel point cette période bien que grave apparaisse comme vide de sens pour les deux héros dès lors qu'ils sont séparés, comme si en plus de ne pas être présents l'un pour l'autre, ils s'absentaient de leur propre vie.
J'ajouterais que l'épouse du conseiller m'est apparue comme un personnage secondaire qui n'est d'ailleurs jamais nommé autrement que par la "bien-aimée" (alors qu'elle est bel et bien partie prenante dans cette histoire); le récit étant avant tout centré sur Louis dont on ne sait même pas si il s'inquiète pour elle durant la guerre...
Certes, il n'en reste pas moins que l'histoire se tient, que le style de Zweig est toujours aussi beau et précis pour ce qui est de décrire la palette de sentiments humains dans leurs moindres nuances.
Ici encore, il est question de passion intense mais contrariée - à croire que les héros de Zweig ont de l'amour une expérience qui n'est jamais à la hauteur de la puissance de leurs sentiments - et la fin ouverte de cette nouvelle laisse croire à une interrogation dont la réponse est laissée à la libre appréciation du lecteur : l'amour traverse-t-il le temps, les épreuves, la distance ?

" Cependant l'amour ne devient vraiment lui-même qu'à partir du moment où il cesse de flotter, douloureux et sombre, comme un embryon, à l'intérieur du corps, et qu'il ose se nommer, s'avouer du souffle et des lèvres. Un tel sentiment a tant de mal à sortir de sa chrysalide, qu'une heure défait toujours d'un coup le cocon emmêlé et qu'ensuite, tombant de tout son haut dans les plus profonds abîmes, il s'abat, avec une telle force décuplée, sur un coeur terrorisé." p.27

Une nouvelle que j'ai aimée mais que j'aurais voulu un peu plus dense.

D'autres avis chez BOB !

8 avril 2011

L'âge des méchancetés - Fumio Niwa


Publiée en 1947, " L'âge des méchancetés" est une nouvelle de l'écrivain japonais Fumio Niwa.

Itami est marié à Senko et...à sa grand-mère Umejo, une octogénaire kleptomane qui vit chez eux depuis 3 mois, se plaint du rationnement et passe toutes ses nuits à leur demander de s'identifier dès qu'ils empruntent le couloir pour se rendre aux toilettes.
Un jour, Itami n'en peut plus et menace de ne plus rentrer à la maison tant qu'Umejo sera sous son toit. Senko demande alors à sa jeune soeur de transporter la vieille femme sur son dos jusque chez leur soeur Sachiko et son mari. Ceux-ci manquent de place mais se retrouvent dos au mur, contraints d'héberger Umejo.
Au bout de quelque temps, la vieille femme commence à se comporter de façon étrange...

" Pourquoi l'être humain ne laisse-t-il pas uniquement de beaux souvenirs ? Alors que la jeunesse et l'âge mûr sont les périodes où apparaît toute la beauté qu'une personne peut avoir, lorsqu'elle meurt après avoir longtemps vécu il ne reste plus de souvenirs de cette jeunesse et de cet âge mûr ; la seule impression qu'elle laisse durablement est celle de l'apparence hideuse qu'elle prend au moment de sa mort." p.84

Bizarrement, si je m'attendais à une histoire scabreuse, je pensais néanmoins qu'elle serait traitée de façon humoristique. C'était oublier que la littérature japonaise fait bien souvent l'économie du rire...
Dès le début, alors qu'Itami se plaint d'Umejo et la traite de tous les noms, j'ai pris cette vieille femme en pitié.
D'accord, elle n'est certes pas facile, elle se plaint, elle vole, elle réveille tout le monde la nuit mais de là à la qualifier de "cancer" qui nuit à leur tranquillité, à la traiter de bonne à rien, à volontairement lui faire mal et à souhaiter sa mort, il y a un pas ! C'est à peine si on la considère comme un être humain. Alors qu'elle a élevé ses petites-filles orphelines, elle ne reçoit de leur part aucune tendresse, seulement le strict minimum exigé par le devoir filial.
Personne ne pense jamais à lui demander pourquoi elle se comporte étrangement.
Le voyage d'Umejo sur le dos de sa petite-fille rappelle d'ailleurs à quel point elle représente un fardeau lourd à porter.
Alors que je tournais les pages, j'ai découvert des passages entiers révélant les opinions de l'auteur sur la vieillesse et le traitement des personnages âgées.
A croire que cette nouvelle n'était qu'un prétexte à faire passer un pamphlet anti-vieux.
Les propos sont bien souvent virulents. A l'époque, le système japonais encourageait les familles à vivre en communauté et à prendre soin des aïeux. Il était de surcroît très mal vu pour une veuve de porter trop longtemps le deuil sans rejoindre son mari dans la tombe, car celui-ci risquait de ne plus pouvoir la reconnaître dans l'au-delà...
L'auteur préconisait quant à lui de prendre exemple sur les hospices à l'américaine.
Il est vrai que la responsabilité d'une personne âgée peut représenter une lourde charge difficile à assumer.
Mais il y a des limites à ne pas dépasser.

" L'essor de l'âme se limite aux cas où l'esprit est encore jeune, avec des possibilités de développement. A quatre-vingt-six ans, la chair seule persiste obstinément et détruit tout, âme, esprit, conscience.
Il existe certes parfois, tel Rohan Kôda, des gens dans la pleine vigueur du vieil âge qui gardent un cerveau de plus en plus aiguisé à mesure qu'ils vieillissent, mais c'est très certainement un cas particulier, un homme sur dix millions.
Les neuf millions neuf cent quatre-vingt-dix-neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf autres sont tous promis sans exception à quelque analogie avec Umejo.
Ils portent en eux un destin qui les fera un jour devenir un embarras pour leur famille.
Et tant qu'une institution sociale idéale comme l'hospice de vieillards ne sera pas réalisée, le système familial du Japon continuera à produire des vies d'ostentation superficielle, de sentimentalité, de contradictions, de médiocrité pleine de mécomptes et d'excès.
On vivra dans une tromperie continuelle. " p.72

Une théorie sidérante derrière une histoire grinçante qui illustre parfaitement la notion de clivage culturel et qui, à l'heure où le vieillissement de la population ne cesse d'augmenter, ne laissera personne indifférent...

D'autres avis : Manu - Le signet - Liyah

6 avril 2011

Laissez-moi (Commentaire) - Marcelle Sauvageot


"Laissez-moi" est un récit épistolaire - publié en 1934 - et l'unique oeuvre de la française Marcelle Sauvageot, décédée à 34 ans des suites d'une tuberculose.

Le 7 novembre 1930, Marcelle Sauvageot qui lutte depuis deux ans contre une tuberculose récalcitrante, se voit contrainte de séjourner dans un sanatorium.
Victime de douleurs et d'insomnie, elle se raccroche comme elle peut à l'espoir de guérir comme à cet amour dont elle sent pourtant bien qu'il lui échappe.
Son amant ne peut mesurer ce qu'elle traverse et, ne supportant plus de la savoir malade, lui fait parvenir une lettre dans laquelle il l'informe de son mariage avec une autre et lui propose son amitié.
"Laissez-moi" apparaît comme la réponse et l'adieu d'une femme éconduite et laissée à son triste sort par un homme qui a préféré se retrancher du côté de la vie...

" La certitude que quelqu'un continue à aimer et à attendre, pour qui le reste n'est qu'un dérivatif momentané et sans pouvoir, est un grand bonheur pour un malade : il a la sensation que la vie qu'il a laissée s'est aperçue de son absence ; il ne peut pas imaginer un avenir neuf ; faible et souffrant de la rupture brutale avec le passé, ce qu'il demande à "plus tard", c'est de continuer en mieux ce qui était autrefois.
J'aimerais conserver en moi comme un talisman le souvenir d'hier soir. Fermons les yeux pour que l'illusion revienne. C'est la même chose qu'en rêve : il ne faut pas bouger. Je t'aime." p.24

Repéré il y a près de deux ans chez Leiloona, ce livre était introuvable jusqu'à...avant-hier quand ô miracle je suis tombée dessus par hasard chez un bouquiniste.
Autant dire que j'ai laissé tomber toutes affaires cessantes ma lecture du moment pour me plonger dans ce récit qui n'est ni plus ni moins qu'un coup de coeur !

" Laissez-moi" ne saurait être rattaché à un seul genre. Si l'oeuvre se présente sous la forme d'un corpus épistolaire rédigé à l'adresse de l'amant, elle apparaît surtout comme une correspondance de l'auteure avec elle-même, ce qui la rapproche du journal ou du récit.
Digne, lucide sans être aigrie, Marcelle Sauvageot se met à nu pour aborder les souffrances intimes que lui inspire la rupture et le désamour progressif d'un homme qui se plaisait à pointer chacun de ses défauts pour se donner de nouveaux motifs de séparation.
Les illusions sont retombées et à la lueur de sa nouvelle condition de femme quittée, elle ré-évalue un passé commun et les douloureux sentiments qu'il éveille désormais en elle.
A travers ses propos se glisse une vision moderne du couple et du rôle généralement assigné aux femmes (efface-toi et encense ton mari à toute occasion), point de vue associé à son souci d'indépendance comme à son refus de l'amour fusionnel.
Parce qu'elle aime toujours cet homme, elle choisit de cesser tout rapport avec lui car elle sent bien que l'amitié qu'il lui propose sonne faux ( le fameux "Je préfère qu'on reste amis" pour se donner bonne conscience) et ne ferait que réveiller en elle des sentiments qui ne seraient pas partagés.
"Laissez-moi" est son cri d'adieu et la preuve que l'on peut puiser de ses faiblesses une force insoupçonnée.

" Si j'arrivais à vous faire sentir cette misère, vous vous hâteriez de l'oublier; et pour vous rassurer, vous diriez ce que tout homme bien portant dit des lieux où l'on souffre : ce n'est pas si terrible qu'on le dit. Je ne vous dirai rien. Mais laissez-moi : vous ne pouvez plus être avec moi. Laissez-moi souffrir, laissez-moi guérir, laissez-moi seule. Ne croyez pas que m'offrir l'amitié pour remplacer l'amour puisse m'être un baume; c'en sera peut-être un quand je n'aurai plus mal. Mais j'ai mal; et, quand j'ai mal, je m'éloigne sans retourner la tête. Ne me demandez pas de vous regarder par-dessus l'épaule et ne m'accompagnez pas de loin. Laissez-moi. " p.83

On a déjà tellement écrit sur la rupture et le malheur amoureux et pourtant... Sous le couvert d'une écriture sèche et dépourvue d'envolées lyriques, Marcelle Sauvageot s'emploie à dresser un point de vue singulier, d'une précision rare mais si criant de vérités qu'une intense émotion surgit à chaque ligne. Il m'a d'ailleurs fallu essuyer toute la pluie qui s'était abattue sur mon visage afin d'y voir clair pour rédiger ce billet...

Un sublime cri du coeur qui se lit d'un seul souffle et qui me marquera encore longtemps !

D'autres avis : Leiloona - Pascale


2 avril 2011

La septième vague - Daniel Glattauer


En librairie dès le 6 avril, "La septième vague" est la suite tant attendue de "Quand souffle le vent du nord" de l'écrivain autrichien Daniel Glattauer.

Souvenez-vous - pour ceux et celles qui avaient lu le premier opus - "Quand souffle le vent du nord" nous avait laissés dans une impasse...
Après 9 mois de silence radio et d'"Emmi-gration" à Boston, nous retrouvons un Léo qui semble avoir tourné la page Emmi pour se concentrer sur Pamela, un nouvel amour plus sain, plus tangible, plus "vrai", plus facile.
Mais Emmi n'est pas décidée à lâcher prise et malgré les résolutions de Leo à rompre tout contact, les échanges virtuels reprennent de plus belle, au point d'envisager une rencontre de visu destinée à donner à leur histoire un "digne épilogue".
Les deux indécis parviendront-t-ils enfin à vaincre les remous pour se jeter à l'eau et atteindre la septième vague ?

" Pourquoi est-ce que je t'écris ? Parce que j'en ai envie. Et parce que je ne veux pas atteindre en silence la septième vague.
Oui, ici on raconte l'histoire de l'implacable septième vague. Les six premières sont prévisibles et équilibrées. Elles se suivent, se forment l'une sur l'autre, n'amènent aucune surprise. Elles assurent une continuité. Six départs, si différents qu'ils puissent paraître vus de loin, six départs - et toujours la même arrivée.
Mais attention à la septième vague ! Elle est imprévisible. Elle est longtemps discrète, elle participe au déroulement monotone, elle s'adapte à celles qui l'ont précédées. Mais parfois elle s'échappe. Toujours elle, toujours la septième vague.
Elle est insouciante, innocente, rebelle, elle balaie tout sur son passage, remet tout à neuf.
Pour elle, il n'y a pas d'avant, mais un maintenant. Et après, tout a changé.
En bien ou en mal? Seuls peuvent en juger ceux qui ont été emportés, qui ont eu le courage de se mettre face à elle, de se laisser entraîner." p.226

Je garde encore un souvenir précis de "Quand souffle le vent du nord" et bien que les personnages m'avaient fortement agacée de par leurs hésitations et leur forte propension à tourner autour du pot, j'avais dévoré ce roman d'une traite.
Aussi avais-je hâte de connaître la suite de cette histoire d'amour en suspens.
Si le premier opus portait sur ce qu'Emmi et Leo s'imaginaient l'un de l'autre, " La septième vague" est l'occasion de confronter leurs fantasmes à la réalité.
Hé oui, il est à présent question de rencontre sans claviers interposés mais attention, le lecteur n'assistera pas en direct à ces échanges mais bien aux compte-rendus respectifs d'Emmi et Leo.
Loin de faciliter les choses comme on pourrait le croire, cette rencontre signera le début d'une longue série de questionnements !

Fidèles à eux-mêmes, les personnages apparaissent toujours aussi complexes et leurs échanges n'ont rien perdu de leur dynamisme, Emmi se chargeant des questions que Leo esquive comme il peut.
Dès le premier email, j'ai retrouvé le ton impertinent d'Emmi et cette façon qu'elle a de revendiquer sa place dans la vie de Leo alors même qu'elle a tout fait pour s'en détourner.
Déjà je sentais poindre en moi l'irrésistible envie de l'encastrer dans un mur et j'espérais secrètement que Leo aurait le recul nécessaire pour l'envoyer paître.
Que nenni évidemment, il fallait bien donner au lecteur quelque chose à se mettre sous la dent.
Leo se montre toujours aussi patient et profondément touchant (soupir) sans pour autant se laisser écraser par les intrusions d'Emmi et sa jalousie mesquine à l'égard de sa nouvelle compagne.
Tous les deux se battent pour faire entendre raison à l'autre, privilégiant tour à tour la sécurité raisonnable tout en soufflant le chaud et le froid, incapables de s'aimer comme de se dire adieu.
A nouveau j'ai pesté contre l'indécision des personnages tout en riant de leur acuité à jouer avec les mots.

" Une minute plus tard

RE :

Leo, éprouves-tu encore des sentiments quand tu m'écris? J'ai justement le sentiment que tu n'en as plus. Et c'est un sentiment très désagréable.


Deux minutes plus tard

REP :

Emmi, j'ai en moi d'énormes coffres et armoires remplis de sentiments pour toi. Mais j'ai aussi la clé qui convient.


40 secondes plus tard

RE :

Serait-ce une clé qui vient de Boston et qui s'appelle "Pamela"?


50 secondes plus tard

REP :

Non, c'est une clé internationale qui s'appelle "raison".


30 secondes plus tard

RE :

Mais elle ne tourne que dans un sens. Elle ne fait que fermer. Et, à l'intérieur des armoires, les sentiments étouffent.


40 secondes plus tard

REP :

Ma raison veille à ce que mes sentiments aient toujours assez d'air. " p.25

Vous l'aurez compris, "La septième vague" est l'occasion de replonger dans le jeu du chat et de la souris (ou du tchat et de la souris si vous préférez) initié par Emmi et Leo deux ans plus tôt et croyez-moi, ces deux-là n'ont pas fini d'en finir !
Les prises de tête vont bon train et l'on peut bien sûr douter du réalisme de cette relation à l'heure du zapping amoureux qui préside largement à notre époque.
Aussi était-il temps que l'histoire de Leo et Emmi s'arrête et débute avec "La septième vague", avant que ces personnages ne deviennent leurs propres caricatures.
En somme, une bonne suite et fin au premier opus.

A noter que "Quand souffle le vent du nord" est désormais disponible en format poche !

Un autre avis : Bladelor

Un grand MERCI à Aline Gurdiel et aux de m'avoir offert ce livre !