23 juin 2011

Fabrice Luchini lit " Fragments d'un discours amoureux " - Roland Barthes


Publié en 1977, "Fragments d'un discours amoureux" est un essai de l'écrivain et sémiologue français Roland Barthes, également connu pour son essai "Le Degré zéro de l'écriture".

Absence, angoisse, attente, étreinte, jalousie, rencontre,... Ce sont en tout 17 mots décryptés par Roland Barthes et associés à ce langage particulier qu'est le discours amoureux.
Lorsque cet audiolivre m'a été proposé, je craignais moins de découvrir Roland Barthes que de ré-entendre un Luchini survolté.
Si j'apprécie l'acteur, je dois dire que l'homme public et ses one-man show - qui consistent à en faire 10 tonnes pour étaler sa culture - sur les plateaux télé ont tendance à m'agacer au plus haut point.
J'appréhendais donc une lecture excessive, surchargée d'envolées lyriques.
Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir un Luchini on ne peut plus posé (lui avait-on glissé un Rohypnol dans son café par mesure de précaution ?)

Ma première écoute de ce livre fut un échec. Au bout de 2 minutes à peine, je fus prise d'un monstrueux fou-rire en repensant aux auditoires de l'université et à ces cours assommants durant lesquels je dégainais mon dictaphone pour pouvoir saisir et retranscrire ces longs monologues à la maison.
Il faut dire que les extraits lus ici se présentent sous la forme d'un lexique regroupant 17 définitions et que le propos requiert une disposition de l'esprit particulière.
A l'évidence, je n'avais pas choisi le bon moment pour me plonger dans cet essai.
J'ai donc retenté ma chance deux jours plus tard.

Retranché du côté de celui qui aime, Barthes nous parle du rapport langagier à l'autre, ce sujet aimé inclassable dont l'image peut si facilement être altérée par un simple mot de travers.

" Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l'autre. "

Il évoque l'angoisse liée à la jalousie, à la distance induite par le téléphone, au choix du cadeau amoureux, à l'insupportable menant à la rupture, à l'attente de l'autre comme à son absence, notion qui renvoie historiquement à la femme guettant le retour de l'homme et subissant "l'épreuve de l'abandon", le sentiment d'être moins aimée qu'elle n'aime.
Dans le fond, les représentations que nous nous faisons de nous-mêmes et de l'autre en amour sont pour la plupart construites par des appréhensions émanant de notre imaginaire et formulées, définies, mises en scène par le langage.
Prenant pour base 17 mots-clé inter-reliés et illustrés par des exemples personnels ou issus de ses lectures (Proust, Socrate, Balzac, Freud et surtout Goethe), " c'est donc un amoureux qui parle et qui dit " que l'amour est complexe, angoissant, source d'attente et d'incertitude.
Fort heureusement, les chapitres "Fête" et "Rencontre" viennent égayer ce sombre tableau.

"Fragments d'un discours amoureux" fut au bout du compte une lecture enrichissante en terme de pistes de réflexion, exigeante aussi, tant elle nécessite selon moi plusieurs écoutes successives doublées d'une attention complète de la part de l'auditeur.

MERCI à de m'avoir offert ce livre !

D'autres avis : Val - Leiloona - Antigone

20 juin 2011

Dans le scriptorium - Paul Auster


Publié en 2006 et traduit en français en 2007, "Dans le scriptorium" est un roman de l'écrivain américain Paul Auster, notamment auteur de la "Trilogie new-yorkaise", "L'Invention de la solitude", "La Vie intérieure de Martin Frost" ou encore d'"Invisible".

Un matin, un vieil homme du nom de Mr Blank se voit frappé d'amnésie. Sa chambre est placée sur écoute et sous l'étroite surveillance d'une caméra vidéo, des photographies de visages familiers et un manuscrit gisent, épars, sur le bureau.
Tandis que Mr Blank procède à la découverte du manuscrit, sa lecture est interrompue par plusieurs coups de fil et visites pour le moins étranges. Qui est cette Anna qui lui administre des médicaments et lui fait sa toilette ? En quoi consiste le traitement prescrit par le Docteur Farr ?
Qu'en est-il de ces "chargés de mission" qui semblent lui en vouloir ? Et pour quelle raison éprouve-t-il de la culpabilité à leur égard ?

"Dans le scriptorium" était ma première incursion dans l'univers de Paul Auster et je dois dire que cette première découverte est une vraie déception.
On a coutume de se figurer la personne de l'écrivain comme celle habilitée à tirer les ficelles et à décider des directions qu'empruntent ses personnages.
Mais que peut-il arriver lorsque ces mêmes personnages se rebiffent et demandent des comptes à leur créateur ? C'est là l'idée originale de ce roman et la raison qui m'a poussée à vouloir lire cette rencontre entre fiction et réalité.

Récit d'une seule journée de la vie de Mr Blank, ce roman se présente comme un huis-clos mettant en présence le vieil homme aux prises avec son imagination, un univers tortueux peuplé d'étranges personnages défilant tour à tour dans sa chambre pour lui reprocher de les avoir malmenés.
Il apparaît que ceux-ci se trouvent être des personnages issus des précédents romans de Paul Auster.
Hélas, ignorant tout de l'oeuvre d'Auster, je n'ai pas réussi à les identifier ni même à m'intéresser à leur sort. Il faut dire que leurs apparitions fugitives ne m'en ont pas vraiment laissé le temps.
Mr Blank m'est apparu comme un vieil homme velléitaire qui m'a laissée dans une relative indifférence (les scènes de touche-touche pipi étaient-elles vraiment nécessaires ?).
Quant au fameux manuscrit lu par celui-ci et distillé tout au long du récit, un roman dans le roman, je ne lui ai pas trouvé de véritable raison d'être si ce n'est celle de brouiller les pistes pour le lecteur.

Ce roman, d'un format pourtant court, m'a semblé d'autant plus lourd par son absence de chapitrage et un style très clinique qui, bien qu'ayant son importance pour la compréhension de la chute finale (que j'ai trouvé attendue pour ma part), a contribué à me rendre ce récit ennuyeux.
Bref, ce procès à l'écrivain était une belle idée de départ mais qui pour moi s'est soldée par un premier rendez-vous manqué...
J'espère être davantage conquise par "L'Invention de la solitude" et "La vie intérieure de Martin Frost", tous deux dans ma PAL.

" Dès l'instant où il ferme les yeux, il voit passer dans sa tête le défilé des ombres.
C'est une longue procession crépusculaire, composée de vingtaines sinon de centaines de silhouettes, parmi lesquelles figurent à la fois des hommes et des femmes, des enfants et des vieillards et, si certaines sont petites, d'autres sont grandes, et si certaines sont rondes, d'autres sont sveltes et Mr Blank, qui les écoute avec toute son attention, entend non seulement le bruit de leurs pas mais aussi quelque chose qui lui paraît ressembler à un gémissement, un gémissement collectif à peine audible, s'élevant d'entre elles.
Où elles sont, où elles vont, il n'en sait rien, mais on dirait qu'elles s'avancent d'un pas lourd au travers d'une sorte de pâturage abandonné, un terrain vague où la mauvaise herbe le dispute à la terre nue, et parce qu'il fait si obscur, et parce que chacune des silhouettes marche la tête baissée, Mr.Blank ne peut distinguer aucun visage.
Tout ce qu'il sait, c'est que la seule vue de ces créatures le remplit de terreur, et il se sent écrasé une fois de plus par un implacable sentiment de culpabilité." p.48

"Dans le scriptorium" était une lecture commune avec George, Anne (De poche en poche) et Michel dont je file voir les billets !

D'autres avis : Géraldine - Manu - Kathel - Praline - Liliba

18 juin 2011

La mer Noire - Kéthévane Davrichewy


Publié en 2010, "La mer Noire" est le second roman, après " Tout ira bien", de l'écrivaine française d'origine géorgienne Kéthévane Davrichewy.

Pour célébrer les 90 ans de Tamouna, toute sa famille est venue la retrouver dans son petit appartement parisien.
Mais celui qu'elle attend le plus, c'est Tamaz, son amour de jeunesse rencontré là-bas, en Géorgie.
A mesure que la journée s'écoule, Tamouna se souvient de sa terre natale, quittée à contre-coeur sous l'impulsion de son père qui prit soin de faire évacuer toute la famille en France avant de retourner défendre l'indépendance du pays et finalement tomber sous les balles bolchéviques.

L'adolescente âgée de 15 ans à l'époque nous retrace un parcours qui passe d'abord par Leuville, où elle, sa mère et ses soeurs s'installeront avec d'autres émigrés, puis par Paris où, rejointe par ses oncles, tantes et cousines, elle assiste à la création de la crèmerie familiale tout en poursuivant des études.
Tamouna ne cesse de songer à Tamaz, ce jeune homme rencontré au pays juste avant le grand départ. Elle lui écrit tout en sachant que les chances de le revoir sont minimes.
Ses lettres évoquent la douleur du deuil d'un père longtemps porté disparu avant d'être déclaré mort, le déracinement, les difficultés de l'intégration et l'espoir de pouvoir un jour rentrer au pays devenu libre.
Elles dévoilent la solitude née d'un amour sans cesse empêché par la distance, mais ravivé par les souvenirs d'une adolescente qui attendait et qui, arrivée à l'hiver de sa vie, attend toujours le seul qui ait réussi à la toucher.

C'est à partir des lettres de Tamouna à Tamaz (soit à la moitié du récit) que je suis réellement parvenue à entrer dans ce roman.
Avant cela, j'ai bien cru que j'allais rester sur le rivage à contempler de loin cette mer noire qui ne réussissait pas à m'emporter.
Dans mes notes, j'avais même utilisé l'adjectif "constipée" pour qualifier cette écriture sèche et toute en retenue, à l'image même de cette femme cloîtrée chez elle par une insuffisance respiratoire et plus encore par son affection des habitudes, une sorte de fantôme laconique et incapable du moindre geste tendre envers ses proches.
Un personnage d'apparence stricte qui m'a d'ailleurs beaucoup rappelé "Femme du monde" de Didier Goupil.
En tant que lectrice, j'avais la désagréable impression de devoir lui tirer les vers du nez pour lui faire cracher le morceau et la percer à jour.

Ensuite, le vent a tourné. La mise à distance s'est prolongée mais, heureusement, sous une autre forme.
Tamouna est entourée de sa famille pour fêter son anniversaire mais l'on sent bien que son esprit vogue ailleurs, tourné vers ce passé qui la ramène à Tamaz, à leurs chemins de vie respectifs et à la question de savoir si elle le retrouvera enfin après tant d'années.
Je me suis alors surprise à partager son émoi mêlé à l'appréhension des retrouvailles, à espérer comme elle que la vie leur accorde enfin à tous deux cette chance ultime de pouvoir être heureux. Mais l'amour sera-t-il au rendez-vous ?

Comme je l'avais constaté pour "La Boucherie des amants" qui prenait place au Chili et bien que l'auteure ait utilisé son histoire familiale comme matériau pour ce roman, "La mer Noire" ne vous éclairera pas sur les événements qui se sont déroulés en Géorgie.
L'histoire de cet exil pourrait d'ailleurs être transposée dans n'importe quel pays en guerre obligeant ses habitants à fuir.
Au delà de cette thématique de l'exil, "La mer Noire" offre un bel exemple du pouvoir évocateur de la mémoire, voyage et refuge d'une femme déracinée, irrésolue au deuil de son pays, de son amour, de son passé.

" Elle tente de revoir les visages, ceux de Théa, de Nora, et celui de Tamaz, leurs traits sont flous.
Et leurs voix ? Seule celle de Tamaz résonne encore. Les voix s'effacent d'abord. C'est douloureux mais ce qui l'est plus encore, c'est le moment où elles vous reviennent de plein fouet, fugitivement mais aussi clairement qu'un morceau de verre.
Le téléphone sonne. Elle n'a pas envie de décrocher. Elle préfère l'immobilité. Elle a souvent préféré l'immobilité. Son goût pour la contemplation et la rêverie l'a conduite vers sa maladie.
Sa maladie lui ressemble. Cela lui paraît réconfortant.
Parfois, la réalité et l'imaginaire, le passé et le présent se confondent dans ce monde immobile.
C'est ce qu'elle a toujours souhaité. Que ses vies multiples forment un tout." p.110

Si j'ai eu un peu de mal à apprivoiser les phrases courtes et le ton détaché de ce roman, je ne regrette pas d'avoir persévéré car, passé la première moitié, il m'est apparu sous un tout autre jour.
Ca vaut le coup d'essayer, non ? :)

MERCI encore à La plume et la page de m'avoir offert ce roman à l'occasion du Challenge Europe centrale et orientale !

"La mer Noire" était une lecture commune avec Canel, Manu et Anne (De poche en poche) dont je file voir les billets !

D'autres avis : Leiloona - Esmeraldae - Kathel - Alex Mots à Mots - Nanne - Aifelle - Stephie - Keisha

15 juin 2011

Un nouveau challenge par ici :)

L'été est là et il souffle comme un air de vacances ! Assis(e) confortablement dans votre transat quelque part sur une île paradisiaque/dans la Marne, vous vous demandez quoi lire entre deux pâtés de sable/cornichons.
Les crocodiles, tortues et écureuils acidulés vous font de l'oeil mais...la chaleur vous écrase et vous donneriez n'importe quoi pour ressentir quelque frisson.
J'ai la solution :)


Le principe est simple : le challenge est ouvert dès aujourd'hui et prendra fin le 15 juin 2012.

Celui-ci comprend 3 catégories :

- "Touriste planqué" : 3 thrillers au choix

- "Téméraire du dimanche" : 5 thrillers au choix

- "Même pas peur" : 8 (ou plus) thrillers au choix

Tous les auteurs (Chattam, Grangé, Thilliez, Lemaître, Lehane, Ellory, Carrisi, Flynn,...) et types de thrillers sont admis (politique, espionnage, science-fiction, psychologie,...) à condition que les oeuvres en question répondent aux critères du genre (rebondissements, suspense, frissons, animaux domestiques éviscérés,...).

EDIT du 17/6 : Comment savoir quels romans sont considérés comme "thrillers" ? Généralement c'est marqué dessus (comme le Port-Salut). Dans le cas contraire, vous pouvez toujours vous rendre sur les sites des maisons d'édition qui répertorient leurs ouvrages par genre.
J'ai par ailleurs esquissé une définition de néophyte.
Je dirais qu'un thriller est un récit qui joue avec la peur du lecteur (to thrill = frissonner). Il se concentre bien souvent sur le personnage de l'enquêteur (personnalité, background,...) dont la vie est souvent en danger à un moment donné.
Le rythme du récit est généralement plus rapide que dans le cas d'un policier classique (on qualifie un bon thriller de "page turner" au sens où le lecteur se sent happé par l'intrigue et tourne donc les pages rapidement pour avoir le mot de la fin).
Le thriller se caractérise aussi par son écriture très visuelle (effet cinéma).
Que les spécialistes du genre n'hésitent pas à venir compléter cette définition ;)

A l'issue de ce challenge, le contributeur le plus généreux recevra une petite surprise "frissons garantis" (et de meilleur goût que ce logo bricolé en 47 secondes).

Inscriptions en commentaires ;)

Les participant(e)s :

- "Touriste planqué" : George - Mango - Prune - Val - Malo - Opaline - Griotte - Catherine -

- "Téméraire du dimanche" : Frankie - Karine - Mazel - DeL - Vonnette - Géraldine -

- "Même pas peur" : Choco - Anne-Laure - Neph - Laure - Lystig - lagrandestef - Lilibook - Canel - Val - Aproposdelivres - Anne (De poche en poche) - Miss Alfie - Syl - Reveline - Martial - Dolly - Mia -

13 juin 2011

Les cendres froides - Valentin Musso


Après "La Ronde des innocents" paru l'an dernier, "Les cendres froides" est le second roman de l'écrivain français Valentin Musso, frère du célèbre Guillaume du même nom.

En triant les affaires d' "Abuelo", son grand-père tout juste décédé, Aurélien Cochet découvre au milieu de centaines de bobines un film réalisé dans les années 1940 montrant son aïeul en compagnie d'un lieutenant SS et de jeunes femmes de type aryen, visiblement toutes enceintes.
Sous le choc de ces images lourdes de sens, Aurélien compose le numéro de téléphone mentionné sur la bobine et rencontre Héloïse Tournier, une étudiante qui prépare une thèse sur les lebensborn.
Tous deux tenteront d'éclaircir le rôle joué par Abuelo au sein de ces anciennes maternités nazies ayant pratiqué la sélection raciale en vue d'offrir des enfants au Fuhrer.
Au même moment une octogénaire, Nicole Brachet, est retrouvée morte à son domicile. A la thèse initiale du home-jacking succède celle du meurtre...

" Je me rendais compte, avec une acuité nouvelle, que je ne savais presque rien de mon grand-père, de sa vie d'avant notre naissance du moins.
Nous n'avions jamais parlé de la Seconde Guerre Mondiale chez nous. J'ignore comment les choses se passent dans les autres familles : le silence est-il la réponse la plus fréquente aux questions de ceux qui n'ont pas connu cette période ?
Dissimule-t-il par pudeur des actions héroïques ou par honte des lâchetés ? Je savais simplement que mon grand-père possédait une carte de Combattant volontaire de la Résistance.
Mais je savais aussi que ces cartes avaient été distribuées jusque dans les années quatre-vingts, à une époque si éloignée des événements que ces attestations étaient pour le moins sujettes à caution.
Un simple bout de papier ne suffirait pas à annihiler ce que je venais de voir." p.82

Lorsque ce roman m'a été proposé, je m'y suis montrée réticente en raison de la filiation de l'auteur avec Guillaume Musso, écrivain qu'on ne présente plus et dont je ne suis pas vraiment la plus grande fan...
Mais tout auteur ne mérite-t-il pas sa chance ?
A l'arrivée du livre dans ma boîte aux lettres, j'ai été surprise de constater qu'aucune mention de Guillaume Musso n'apparaissait en couverture et qu'en plus, le roman avait été publié par les Nouveaux Auteurs, une maison d'édition qui ne publie que les titres plébiscités par les lecteurs de leur site.
J'ai donc apprécié que l'auteur ne se serve pas du succès de son frère en vue d'une publication (même si bien sûr tous deux partagent le même nom de famille).
J'ai ensuite entamé ma lecture pour ne plus la quitter des yeux.

Le point fort de ce thriller est qu'il prend pour toile de fond un aspect un peu plus méconnu des pratiques nazies : les lebensborn.
Créées à l'initiative de Gregor Ebner, médecin personnel d'Himmler et spécialiste de la sélection raciale, ces maternités furent installées dans les pays occupés par l'Allemagne durant les années 40.
Elles abritaient bon nombre de femmes qui, ayant eu une aventure avec un SS et craignant de s'exposer au désaveu de leurs familles, étaient prises en charge et choyées tout au long de leur grossesse. En contrepartie, celles-ci acceptaient de confier ensuite leurs bébés en vue d'une adoption par des familles allemandes pure souche.

" C'était un pan d'histoire honteux qu'on a pu occulter parce qu'on se persuadait qu'ils n'avaient pas fait de victimes.
Face à l'Holocauste, ces maternités paraissaient dérisoires. C'était évidemment sans compter ces dizaines de milliers d'enfants que les Allemands avaient kidnappé dans les pays de l'Est.
Tout le monde s'est désintéressé d'eux.

_ Et ceux qui étaient nés à l'ouest, dans les pays occupés ?

_ Ils n'ont pas eu droit à plus de pitié. Ils étaient des enfants de la honte qui symbolisaient la collaboration et la mauvaise conscience dont les pays anciennement occupés voulaient se débarrasser. On a caché à beaucoup leur origine, d'autres au contraire ont été humiliés et persécutés, à l'école ou dans les familles d'accueil." p.189

A partir de ce fait historique, Valentin Musso a construit une intrigue qui repose sur un lourd secret de famille que le héros principal, Aurélien Cochet, appuyé par une spécialiste des lebensborn, tente de percer malgré les nombreuses menaces et attaques qui pèsent sur lui et sa famille (mais aussi son chat, eh oui les animaux domestiques ont toujours la vie dure dans les thrillers !).
Au détour de chapitres courts, entre présent et flash-backs, l'auteur parvient à distiller savamment les nouveaux éléments découverts au fil de la quête d'Aurélien pour stimuler la curiosité du lecteur.
En revanche, du côté de l'enquête criminelle sur le meurtre de Nicole Brachet, ça n'avance pas beaucoup.
C'est bien là la seule chose que je reproche à ce roman, une différence de rythme flagrante entre les recherches d'Aurélien et la progression des policiers qui semblent se cantonner à une enquête de routine sur un véhicule suspect.
Il faut dire que la police ne dispose que peu d'éléments au départ, là où Aurélien détiendra le fin mot de l'histoire.
Bien que le récit soit centré autour d'Aurélien, j'ai trouvé les autres personnages bien brossés, chacun ayant son rôle à jouer, à l'exception d'Héloïse qui semble toujours en retrait malgré son aide précieuse.

Dans l'ensemble, "Les cendres froides" m'a énormément fait penser, jusque dans sa dernière ligne, au roman "Elle s'appelait Sarah" de Tatiana de Rosnay.
Au détour d'une double quête, historique et personnelle, l'auteur examine avec soin la difficulté de se construire en creux d'une histoire familiale sinueuse et l'impact psychologique que peut provoquer la découverte d'un secret dissimulé par plusieurs générations.
Bien documenté, ce roman nous en apprend davantage sur les dessous de la politique eugéniste nazie.
A tenter !

MERCI à Florence et aux éditions de m'avoir offert ce livre !

Un autre avis : Zarline

10 juin 2011

La clef/La confession impudique - Junichiro Tanizaki


Publié en 1956 et traduit en français en 1998, "La clef/La confession impudique" est un roman de l'écrivain japonais Junichiro Tanizaki, également auteur de "Le coupeur de roseaux", "Le meurtre d'O-Tsuya", "Le tatouage" ou encore de "Le pont flottant des songes".

Ikuko, 45 ans, et son époux, 56 ans, sont mariés depuis une vingtaine d'années. De ce mariage est née une fille, Tochiko, qui passe son temps à se tenir éloignée du domicile familial.
Il faut dire que l'ambiance à la maison est devenue quelque peu étrange. Ikuko et son mari ont pris de plus en plus l'habitude de convier leur futur gendre, M.Kimura, à des dîners fortement arrosés au terme desquels le couple se retire dans sa chambre jusqu'au petit jour...

Ce roman nous emmène à la rencontre d'un couple dont les détails de la vie conjugale et sexuelle nous sont présentés à travers leurs journaux intimes respectifs.
Le mari d'Ikuko reproche à sa femme sa pudeur et son manque de tendresse, son désintérêt pour les préliminaires et le caractère routinier de leurs ébats tout au long de leurs 20 années de mariage.
De son côté, Ikuko confie le dégoût que lui inspire son mari et la gêne qu'occasionne en elle son insistance fanatique à vouloir la connaître dans ses moindres détails anatomiques.
Nul doute qu'entre ces deux-là résident une suspicion et une incompréhension mutuelles entretenues par toute une série de non-dits qui précipitent le couple dans une relation insidieusement malsaine.
Tous deux persuadés de se lire l'un et l'autre en cachette, ils se servent chacun de leur journal pour s'adresser indirectement leurs reproches et formuler leurs arguments et interrogations quant à leur vie intime.
Comme il est souvent de mise dans les journaux, la forme employée ici est celle du monologue intérieur qui pousse indubitablement le lecteur à prendre parti pour l'un ou l'autre.

Or le lecteur se retrouve rapidement pris entre deux feux.
Si les arguments du mari se veulent recevables, les méthodes utilisées pour arriver à ses fins sont assez discutables...
Profitant qu'Ikuko soit étourdie par l'excès d'alcool, celui-ci tire parti de la situation pour se servir d'elle à sa guise, s'adonnant volontiers à tous les plaisirs d'ordinaire interdits et allant jusqu'à se mettre en danger pour stimuler sa jalousie et a fortiori son désir.
En ce sens, ce roman m'a énormément fait penser à "Les Belles Endormies" de Yasunari Kawabata.
Le Buzz littéraire s'est d'ailleurs livré à une analyse croisée de ces deux romans que vous pouvez retrouver ici.

Bien que j'ai eu un mal fou à adhérer aux faits et gestes des personnages (surtout la fille !), j'ai beaucoup aimé la façon dont Tanizaki aborde la notion de désir (partagé ou non) à travers un point de vue à la fois universel - qui rend compte de toute sa complexité et son ambiguïté -, et résolument asiatique en ce que ce désir mène fatalement à la soumission et au sacrifice.
" A l'époque féodale, la vertu d'une femme voulant qu'elle se soumette absolument à son mari, elle se serait pliée à tous ces désirs, aussi infâmes ou répugnants qu'ils soient, et n'aurait d'ailleurs pas pu faire autrement.
A plus forte raison dois-je l'accepter de mon mari qui, sans les stimulations que lui procurent ces jeux insensés, est incapable d'accomplir l'acte de façon satisfaisante pour moi.

Je ne fais pas que remplir mon devoir. D'un certain point de vue, je demeure une épouse vertueuse et docile et, en échange, j'obtiens de lui qu'il comble mes appétits charnels dévorants.


Cela dit, je me demande pourquoi mon mari ne peut se contenter de me mettre nue, mais veut en plus me prendre en photos et, sans doute pour me les montrer, les fait agrandir et les colle dans son cahier.


Il est le mieux placé pour savoir qu'en moi cohabitent la plus extrême luxure et la plus extrême pudeur." p.72

" La passion violente que suscite la jalousie, l'exacerbation des pulsions sexuelles obtenues grâce au spectacle inépuisable de ma femme nue, tout cela me conduit à une folie qui ne connaît pas de limite.

Pour l'instant, je suis infiniment plus porté sur la chose que ma femme. Quand je pense que, nuit après nuit, je suis plongé dans une extase que je n'aurais même pas osé imaginer en rêve, je ne peux m'empêcher d'être reconnaissant du bonheur qui m'échoit, mais en même temps, j'ai le pressentiment qu'un tel bonheur ne saurait durer, que tôt ou tard je devrai le payer, que minute après minute je rabote mon destin." p.74

Mélange noueux de sensualité et de cruauté, un roman fort qui interpelle et soulève beaucoup d'interrogations sur les mystères de la sexualité et l'importance de la communication au sein du couple.
Ma plus belle découverte en littérature japonaise jusqu'à présent !

"La clé/La confession impudique" était une lecture commune avec Choco dont je file voir le billet !

D'autres avis : Lili Galipette - Liliba

5 juin 2011

Le meurtre d'O-Tsuya - Junichiro Tanizaki


Publié en 1915 et traduit en français en 1997, "Le meurtre d'O-Tsuya" est un court roman de l'écrivain japonais Junichiro Tanizaki, auteur de "Le coupeur de roseaux", "Le tatouage" ou encore de "La clé/la confession impudique" dont je parlerai vendredi.

La vie semblait sourire à Shinsuke, apprenti chez un prêteur sur gages, jusqu'à ce qu'il s'entiche de la fille unique du patron, O-Tsuya, qui lui propose de fuir ensemble.
Le couple se réfugie alors chez Senji, ami de la famille d'O-Tsuya, qui leur promet de veiller sur eux jusqu'à ce que leurs familles respectives acceptent de consentir à leur mariage.
Mais les choses tournent mal et le jeune Shinsuke devra malgré lui renoncer à ses principes moraux pour contenter sa belle...

"Le coupeur de roseaux" ne m'avait pas laissé un souvenir impérissable mais comme cette histoire-ci me faisait de l'oeil, j'ai décidé malgré tout de retenter ma chance avec cet auteur.
Et cette fois, je n'ai pas été déçue !
"Le meurtre d'O-Tsuya" apparaît comme une histoire d'amour à l'issue tragique comme les Japonais savent les écrire. Une histoire d'amour à la Bonnie&Clyde, dirigée d'une main de fer par l'habile O-Tsuya qui s'est depuis toujours rêvée en geisha et sait très bien mener sa barque pour obtenir ce qu'elle veut de ses courtisans.
Naïf et aveuglé par son amour pour elle, Shinsuke multiplie les méfaits pour lui sauver la mise et finit par prendre goût au jeu dangereux initié par O-Tsuya.
Entraîné dans une vague d'escroqueries et de meurtres, le jeune homme autrefois riche de principes tente de retrouver la raison tandis que sa complice, pleine d'assurance, fait preuve d'un sang-froid implacable.
J'ai trouvé le personnage d'O-Tsuya incroyable jusqu'à la dernière page, tant, malgré son caractère ouvertement manipulateur, je me demandais jusqu'où elle était capable d'aller pour assurer ses intérêts !

Certes, il s'agit d'un court roman mais Tanizaki en dit suffisamment pour capter l'attention de son lecteur, aspiré comme Shinsuke par le rythme endiablé des événements.
L'auteur explore à l'extrême les ravages de l'amour passionnel, initiés par la perfidie féminine (thème qui revient souvent dans la littérature nippone, les écrivains japonais n'étaient-ils pas un brin misogynes?), avec pour fatal corollaire une vengeance qui n'a guère le temps de tiédir.
Un petit roman sans concession, à découvrir sans hésiter !

" Tu es devenue très experte dans l'art de t'exprimer, mais je suis sûr qu'au fond de ton coeur, tu es loin de m'aimer autant qu'avant. Et puis, ce doit être le jour et la nuit, entre ton pauvre Shinsuke et ce Tokubei qui a tellement d'argent et qui comprend si bien les choses !
En fin de compte, je ferais mieux d'aller tout de suite me constituer prisonnier, tu seras plus heureuse comme ça !


- Zut et zut ! Conduis-toi donc comme un homme ! Tu crois me flatter en me faisant des scènes de jalousie ? C'est trop stupide pour mériter une réponse, alors cesse, veux-tu !
De toute façon, je n'ai encore jamais connu d'autre homme que toi, alors...


- Dans ce cas, ton Tokubei, il est bien généreux !


- C'est précisément là où je sais y faire ! Je n'ai encore jamais tué personne, mais sinon je suis bien plus douée que toi pour le crime ! " p.85

D'autres avis : Praline - Manu - Choco - Lounima



4 juin 2011

Tag Challenges

Cela faisait un petit temps déjà que j'avais réussi à échapper aux nombreux tags présents sur la blogosphère^^ Mais Manu m'a repérée et me voici donc à évaluer ma challengite aigüe en termes de calculs complexes...


1) A combien de challenges êtes-vous inscrite ?

Heu...17... MAIS comme on peut le voir ci-dessous, 2 d'entre eux (dont le mien) sont sans date limite.




Challenge lancé par Raison et sentiments
Pas de date limite
3/13





Challenge lancé par moi
Pas de date limite
20/51




6 sont terminés :


Challenge lancé par La plume et la page
Date limite : 31/03/2011
Terminé : 6/3




Challenge lancé par Theoma
Date limite : 30/06/2011
Terminé : 8/7




Challenge lancé par Anneso
Date limite : 31/07/2011
Terminé : 7/5







Challenge lancé par Pimpi
Date limite : 31/12/2011
Terminé : 3/1




Challenge lancé par Fashion
Date limite : 31/12/2011
Terminé : 6/1







Challenge lancé par George
Date limite : 31/12/2011
Terminé : 1/1



9 restent à terminer :




Challenge lancé par Choco
Date limite : 30/6/2011
13/12





Challenge lancé par Schlabaya
Date limite : 31/7/2011
12 (+ 2 biographies)/14








Challenge lancé par Marion
Date limite : 25/12/2011
4/8






Challenge lancé par George
Date limite : 31/12/2011
2/5






Challenge lancé par George
Date limite : 31/01/2012
3/5







Challenge lancé par Sabbio
Date limite : 18/02/2012
8/10





Challenge lancé par Sofynet
Date limite : 31/03/2012
0/2





Challenge lancé par George
Date limite : 17/04/2012
3/6










Challenge lancé par Reka
Date limite : 31/12/2013
4/3





2) Pourquoi vous êtes-vous inscrite à tous ces challenges ?


Je mentirais si je prétextais que tous visent à écluser ma PAL...Certains d'entre eux m'ont même plutôt servi d'excuse pour découvrir de la littérature étrangère (Challenge In the Mood for Japan, Challenge Europe centrale et orientale, Challenge Une année en Russie, Challenge 100 ans de littérature américaine) ou continuer à accumuler des titres de genres (Challenge épistolaire, Challenge La Nouvelle) et d'auteurs que j'aime (Sagan, Oates, Hornby
).

3) Combien de livres avez-vous lu à cause de/grâce à ces challenges ?

En enlevant les doublons, 80 au total ( dont 29 cette année).


4) Combien de livres vous reste-t-il à lire pour terminer ces challenges ?

10 cette année. Je pense y arriver (ouf).

5) Envisagez-vous de craquer à nouveau pour un challenge ou de renouveler vos challenges (si ils se terminent en cours d'année ou recommencent l'an prochain) ?

Je suis tentée par le Défi des 1000 organisé par Daniel Fattore. Ce serait l'occasion de sortir de ma PAL "Blonde" ou encore "Guerre et Paix". Mais comme je me suis fait la promesse de rester raisonnable, je ne m'inscrirai à ce challenge que lorsque j'aurai lu l'un de ces deux titres ^^
Par ailleurs, je suis pour la prolongation ad vitam eternam des challenges Sagan, Oates et 100 ans de littérature américaine car ma PAL n'est pas prête d'en venir à bout !

6) Avez-vous envie de créer votre propre challenge ?

Mon "Challenge 2 euros" court toujours mais j'ai en tête 3 nouveaux challenges. Reste à voir si j'aurai le temps de me lancer dans ces entreprises :)

Je passe à présent le flambeau à Reka, Clara et Lili Galipette si elles sont d'accord !

1 juin 2011

Allumer le chat - Barbara Constantine


Publié en 2007, "Allumer le chat" est le premier roman de la française Barbara Constantine, également auteure de "A Mélie, sans mélo" et " Tom petit Tom tout petit homme Tom".

Josette apprend que son mari Martial la trompe avec son amie Edith. Pas le temps de lui faire une scène, voilà que Martial rencontre un cerf sur la route pour faire d'elle une veuve.
Josette se console vite de sa douleur avec Edith et reprend contact avec son père, Raymond, à qui elle n'avait plus parlé depuis 7 ans.
Pendant ce temps, Geneviève rencontre Farid à qui elle écrivait en prison, Momo épouse Marie-Rose, Pierrot se découvre une passion pour la photographie mortuaire, Rémi apprend le piano avec Mine et le chat Bastos tombe amoureux...

En lisant l'amusante biographie de l'auteur et l'extrait tenant lieu de résumé, je m'attendais à un récit décapant, rédigé dans un style incisif.
Au travers de chapitres courts aux titres plutôt évocateurs, l'auteure nous dévoile une galerie de personnages rustiques, volontiers grossiers mais pas mauvais bougres, qui présentent tous une fêlure et un secret.
Au sein de cette chronique villageoise, les histoires des uns et des autres s'entrecroisent.
Chacun traîne son petit lot de malheurs et confie ses espoirs déçus au lecteur, pris en aparté au fil de nombreux monologues.
Certes, les personnages dont il est question ici ne sont pas des prix Nobel...Cependant, je ne pensais pas devoir subir un style parlé à ce point simplet (façon Gavalda mais en moins drôle) et des jeux de mots aussi peu subtils que "Marie-Rose, elle sent pas la ro...se", "Tu nous as rendu un fier cerf-vice" ou encore les déclinaisons autour du prénom de Mine : "la Mine réjouie", "Mine de rien".
Si les histoires de chacun ont beau être insolites dans le fond, je dois bien avouer être restée complètement de marbre quant à la forme de ces récits.
Bref, un roman qui retombe rapidement à plat malgré ses prétentions et que j'ai pour ainsi dire déjà oublié.
D'ailleurs, si ce titre n'avait pas fait l'objet d'une lecture commune, je pense que je n'en aurais même pas parlé...

"Allumer le chat" était une lecture commune avec Manu dont je file voir le billet !

D'autres avis chez BOB !