27 février 2012

Le Tribunal des âmes - Donato Carrisi


Second roman - après "Le Chuchoteur" - de l'écrivain italien Donato Carrisi, "Le Tribunal des âmes" paraîtra dès le 1er mars en librairie.

A Rome, une ambulance se rend dans la villa d'un quinquagénaire présentant les symptômes d'un infarctus. Au moment de procéder au massage cardiaque, Monica découvre sur le torse de l'homme l'étrange inscription "Tue-moi" tandis que son collègue aperçoit quelques mètres derrière eux un patin à roulettes, le même que celui qui avait été retrouvé avec le corps sans vie de la soeur de Monica 3 ans plus tôt.
Sandra, enquêtrice photo pour le compte de la police scientifique, a elle aussi perdu un proche.
Mais malgré la thèse de l'accident, la jeune femme reste intimement persuadée que son mari a bel et bien été assassiné pour une raison qu'elle est bien décidée à découvrir.
Pendant ce temps, Marcus, qui souffre d'amnésie se voit confier la mission de retrouver Lara, jeune étudiante portée disparue.
La ville de Rome abrite décidément son lot de mystères...

Lorsque j'ai eu vent de l'implication du Vatican dans ce roman, j'ai eu peur de me retrouver embarquée dans un thriller farfelu à la Dan Brown.
Cependant, s'il est vrai que "Le Tribunal des âmes" en réfère également à l'existence d'une société secrète, celle-ci reste une toile de fond, non un point de départ servant de matière à la résolution de codes et de symboles.
Pour évoquer ce tribunal des âmes, Donato Carrisi a pu compter sur les larges descriptions d'un prêtre ayant réellement appartenu à cette organisation.
L'auteur a également utilisé ses connaissances en criminologie, comme il l'avait déjà fait pour "Le Chuchoteur", pour se concentrer sur une catégorie bien précise de tueurs.
Partant de ces éléments réels, il a bâti une intrigue complexe oscillant entre présent et retours en arrière.

Contrairement aux autres thrillers que j'ai pu lire jusqu'à présent, je n'ai pas eu l'impression de me rapprocher des réponses durant ma lecture. Au contraire, le mystère s'épaississait au fil des pages, de nouveaux crimes voyaient le jour, d'autres personnages faisaient leur apparition.
L'auteur ouvrait tellement de portes que je me demandais de quelle façon il réussirait à toutes les refermer. Or tout est bien lié et laisse peu de place aux coïncidences si l'on s'en réfère à la notion de synchronicité énoncée par Carl Jung et adoptée par l'auteur.

La psychologie des 2 personnages principaux, Sandra et Marcus, a fait l'objet d'une attention particulière de la part de l'auteur.
Tous deux dotés d'un don qui leur permet de cerner rapidement les anomalies sur une scène de crime, ils ont développé une sensibilité particulière aux êtres et aux objets qui les entourent, un sens du discernement qui leur permet de voir au delà d'apparences souvent trompeuses.
Une faculté déjà attribuée à Mila Vasquez, personnage central du "Chuchoteur" auquel l'auteur adresse d'ailleurs un petit clin d'oeil.
Bien que tous deux suivent des pistes différentes, celles-ci finiront par converger à un moment du récit, ce qui donnera malheureusement lieu à quelques redites et à une stagnation dans l'intrigue étant donné que l'un des deux découvrira ce que l'autre sait déjà.
Il n'est pas rare que Sandra et Marcus s'adonnent au monologue intérieur, parfois répétitif chez Sandra lorsqu'elle évoque "les maisons qui ne mentent jamais". La jeune femme s'attache à des détails invisibles là où Marcus tente de s'approprier le mal pour réussir à le contrer.

" Dans les cas de disparition, il fallait gérer le doute. Il pouvait s'insinuer partout, tout corroder de l'intérieur, sans qu'on s'en aperçoive.
Le doute consumait les jours, les heures. Et les années passaient sans réponse. Il valait mieux que l'enfant soit mort, savoir qu'il avait été tué, avait-il alors songé.
La mort prenait les souvenirs, même les plus beaux, et les inséminait avec la douleur, rendant tout rappel insupportable.
La mort maîtrisait le passé. Le doute était pire, parce qu'il s'emparait du futur." p.322

En marge de leurs enquêtes respectives se dessine une quête personnelle. Sandra tente de découvrir ce qui est réellement arrivé à son mari, se réfugiant dans ses souvenirs pour y trouver des indices, là où Marcus tente de retrouver la mémoire de l'homme qu'il a été.

Evidemment, "Le Tribunal des âmes" ne serait pas un thriller si personne n'essayait de mettre des bâtons dans les roues des enquêteurs. Il n'est d'ailleurs pas rare dans ce roman que les rôles de traqueur et de proie s'intervertissent.
Le monde décrit par Donato Carrisi est loin d'être manichéen. Car ici, même les "gentils" possèdent leur part d'ombre et nous rappellent qu'il existe une frontière ténue entre le bien et le mal et que les hommes peuvent basculer de l'un à l'autre.
Tous les personnages habitant ce thriller se retrouvent à un moment donné face à un cas de conscience, à un carrefour où il leur faut choisir entre le pardon et la vengeance.

" Je me réjouissais qu'un autre être humain soit en train de mourir. Je me suis demandé ce qui m'arrivait. Ce que cet homme nous a fait est terrible. Il nous pousse à devenir comme lui. Parce que seuls les monstres peuvent se réjouir de la mort d'autrui.
J'essayais de me convaincre que, dans le fond, d'autres jeunes filles seraient épargnées, s'il mourait. Que cet événement sauverait des vies.
Et les nôtres ? Qui nous sauverait de la joie que nous ressentions ? " p.326

Malgré quelques défauts ici et là, je ne me suis pas ennuyée tant ce thriller se voulait foisonnant et intéressant de par la large place laissée aux descriptions de Rome et de ses nombreuses bâtisses qui recèlent de nombreuses pistes.
Bien que les capacités de Sandra et de Marcus m'aient semblé quelque peu surévaluées et malgré mes difficultés à assimiler les noms italiens, la chronologie bousculée et les nombreux éléments distillés, j'ai trouvé que l'auteur avait beaucoup mieux géré la construction de ce roman-ci que dans "Le Chuchoteur".
Car si les rebondissements sont ici encore nombreux, l'auteur semble ici avoir trouvé la juste mesure pour maîtriser son récit et éviter l'écueil du feu d'artifice final que je n'avais pas apprécié dans "Le Chuchoteur".

Un grand jeu de pistes qui devrait apparemment plaire aux amateurs de Ken Follett.

D'autres avis : Mango - Irrégulière

MERCI à Laetitia Joubert et aux éditions de m'avoir offert ce livre !

23 février 2012

Viol, une histoire d'amour - Joyce Carol Oates


Publié aux USA en 2003 et traduit en français en 2006, "Viol, une histoire d'amour" est un roman de l'écrivaine américaine Joyce Carol Oates, notamment auteure de "Délicieuses pourritures", "Premier amour" ou encore de "Reflets en eau trouble".

Un soir de 4 juillet, alors que Tina Maguire et sa fille Bethie traversent le parc de Rocky Point pour rentrer chez elles, toutes deux se font interpeller par un groupe d'hommes ivres bien décidés à ne pas les laisser s'enfuir.
Tina et Bethie échouent dans un hangar à bateaux. Bethie qui a réussi à se mettre à l'abri assiste impuissante au viol collectif et aux coups subis par sa mère.
Tina échappe à la mort de justesse mais les séquelles sont à ce point lourdes que la jeune femme se mure dans le silence.
Le procès s'annonce difficile, d'autant que l'opinion publique et la défense mettent en doute l'insouciance des victimes...

" Après durerait des années. Tu vis encore ces années. Après durerait le reste de la vie de ta mère.
Ce que tu ne comprenais pas. Ce que personne n'aurait pu te dire. Que le viol n'était pas un incident qui s'était produit un soir dans le parc à la façon aléatoire dont tombe la foudre, mais la définition même de la vie de Tina Maguire, et par extension de la tienne, après coup.
Ce qui avait été Tina, ce qui avait été Bethie, fut brusquement effacé.
Ta mère serait La femme qui a été violée dans le hangar à bateaux de Rocky Point et tu serais Elle, la fille de Tina Maguire." p.60

Tina connaissait fort bien ses agresseurs et leurs familles pour avoir partagé le même quartier qu'eux. Aux yeux de la plupart, elle passe pour une jeune veuve ayant rapidement renoncé au deuil pour se retrancher du côté de la vie et des joies qu'elle peut encore lui offrir.
Séduisante, elle aime la compagnie des hommes, particulièrement celle de Casey, homme marié et père de jeunes enfants, dont la fréquentation n'est pas pour améliorer l'opinion des gens à son sujet.
Tina a acquis au sein de tous une réputation de séductrice qui se verra largement relayée par les médias qui iront jusqu'à avancer que ses rapports avec les hommes étaient monnayés et qu'elle entraînait sa fille dans la débauche.
Le lecteur découvre tout du long le portrait d'une femme salie, brisée autant par la violence de son agression que par les rumeurs qui pèsent sur elle.
Une femme dont on ne reconnaît même pas la souffrance et que l'on traîne dans la boue au motif de moeurs légères, prétextant qu' "elle l'a bien cherché".

Oates joue beaucoup avec les contrastes, à commencer par ce titre déconcertant faisant état d'une curieuse association d'idées.
Malgré l'extrême brutalité dont elle fit les frais, Tina peut compter sur l'amour de sa mère et de sa fille, ainsi que sur l'amitié de John Droomor, personnage clé du roman.
L'auteure a choisi cette date symbolique du 4 juillet censée célébrer la toute puissance de l'Amérique. La foule danse, rit, boit plus que de raison et ce qui devait être un jour de fête laisse place à la déchéance, avec pour point d'orgue l'agression de Tina et de sa fille.
Et celle-ci se prolonge à travers les réactions des uns et des autres.
Entre les lignes surgissent les propos vulgaires tenus par les familles des suspects, les titres racoleurs des journaux, les théories édifiantes de la défense qui chargent les victimes à défaut des coupables.
Au milieu de cette folie ambiante, une petite fille qui grandit soudainement et à qui la narratrice adresse son récit, lui témoignant ce que tant d'autres, même des années plus tard, lui ont toujours refusé, la compréhension, l'empathie et surtout, la reconnaissance de la vérité par ces rappels des faits qui tels une rengaine encouragent Bethie à ne jamais douter de l'innocence de cette mère aimante.

Avec ce roman, Oates balaie d'un revers de main l'idyllique rêve américain pour pointer du doigt une Amérique marquée par la bassesse de ses citoyens et les aberrations de son système judiciaire.
J'ai été profondément écoeurée par cette vindicte populaire, par cette presse sans scrupules, par l'hypocrisie des familles des agresseurs, par ce requin de la défense qui n'hésite pas à travestir la vérité et à mettre en doute jusqu'aux preuves formelles de la culpabilité de ses clients.
Oates est connue pour cette noirceur qui fait l'ambiance de ses romans. Elle y dénonce les inégalités, les injustices, les abus de pouvoir, les outrages commis envers des innocents (principalement des femmes).
Et si je suis opposée au fait de faire justice soi-même, je reconnais que cette lecture a réussi à semer le doute en moi.
Un roman désarmant à l'effet coup de poing garanti !
Rien que de vous en parler, j'en ai encore l'estomac noué...

D'autres avis : Pimprenelle - Sandrine - Manu - Restling - Stephie



20 février 2012

Arlette - Olivier Cabiro


Publié le 5 janvier dernier, "Arlette" est le premier roman de l'écrivain français Olivier Cabiro.

Tandis que sa femme Maria poursuit de longues études à Paris, Olivier travaille pour une banque au Pakistan.
Parmi les expatriés se trouve Arlette, belle et jeune danoise solaire et accessoirement mariée , dont Olivier tombe éperdument amoureux.
Au bout de plusieurs semaines de franche camaraderie, alors que le mari d'Arlette demande à Olivier de veiller sur son épouse lors de ses sorties en mer, tous deux tombent dans les bras l'un de l'autre.
Ce qui sonnait au départ comme une idylle de vacances se transforme en une histoire qui se poursuit à travers les continents et les années.

Deux raisons me décident généralement à ne pas terminer un livre : un style trop commun ou carrément déplaisant ou bien l'ennui que m'inspire une histoire jugée dès lors sans intérêt.
Dans le cas présent, ces deux caractéristiques se sont trouvées réunies dans un même roman et pourtant, je suis tout de même arrivée au bout de ma lecture. Pourquoi ?
Pour vous expliquer ce qui s'est passé avec ce livre, j'utiliserai l'exemple de la télévision.
Il m'est déjà arrivé de regarder un film ou une émission avec indifférence, me contentant de laisser défiler les images devant mes yeux.
Aurais-je eu mieux à faire que de me laisser passivement abrutir ? Sans doute.
Or, pour une raison que je ne m'expliquais pas totalement, je ne zappais pas et laissais mon esprit se remplir de vide jusqu'en fin de soirée.

La personnalité d'Olivier, le narrateur, m'est apparue très tôt. Dès l'instant où celui-ci évoque la relation à distance vécue avec sa femme Maria et son manque de motivation dans le travail, je me suis dit que cet homme-là était du genre à contempler sa vie, sans ambition de vouloir en changer, de bousculer l'ordre des choses pour pouvoir accéder au bonheur.
Mais Olivier sait-il seulement ce qui le rendrait heureux ? Pas vraiment.

" Il y a les types qui bâtissent l'avenir dès qu'ils ont un boulot, trois sous de côté et une copine.
Ils se marient, planifient leurs dépenses, réservent les vacances d'été à partir de novembre et, à l'horizon de trois ans, savent quel poste ils occuperont dans la boîte où ils travaillent.
Et puis il y a ceux dont l'existence épouse la suite des moments, des profits, des choses à saisir.
Ceux qu'on appelle à l'origine des aventuriers, c'est-à-dire, au sens propre, ceux qui prennent ce qui advient, ceux qui chevauchent l'occasion.
Comparé à Lars, j'appartenais clairement à cette deuxième catégorie, dans la sous-catégorie des contemplatifs, qui n'est pas la meilleure et qui consiste, en gros, à se promener dans l'existence.
Cela fait des gens très doués pour profiter du paysage mais pas toujours pour contrôler l'itinéraire. " p.98

Avant de rencontrer Arlette, sa vie était plutôt conventionnelle. Il exerçait un travail qui ne lui plaisait pas mais lui permettait de voir un peu du pays et de profiter d'un statut confortable d'expatrié.
Sa femme et lui ne s'aiment plus mais se raccrochent tant bien que mal à la promesse d'un avenir meilleur dès lors que Maria aura achevé ses études pour le rejoindre.
Avec Arlette arrive la passion, une passion d'autant plus exacerbée qu'elle prend place dans un contexte qui flaire bon l'interdit.
Dans un pays qui condamne l'adultère comme l'abus d'alcool, les amants s'enivrent et s'aiment aux yeux de tous, sans précaution aucune sous le regard amusé d'Arlette qui ne craint pas d'être jugée.
Si Olivier craint que les langues se délient au point que sa liaison avec Arlette arrive jusqu'aux oreilles de son mari, il semble faire peu de cas de sa femme, comme si leur couple était immuable.
Mais les rumeurs sur eux vont bon train. Olivier sera muté dans une succursale au Bangladesh et tous deux finiront par divorcer de leurs conjoints.
On aurait donc pu s'attendre à ce que ces deux là saisissent cette chance pour vivre leur amour librement. Or ce qui pesait sur leur avenir de couple n'était pas tant leurs engagements respectifs que la peur innommable d'Olivier.

Un coup de sang de quelques semaines (trop tôt pour parler d'amour) et 20 ans pour s'avouer que la passion des débuts s'est étiolée, telle fut mon impression à propos de ce roman.
Chaque coup de fil d'Arlette (elle seule l'appelle et lui écrit) succède à une visite à l'issue de laquelle Olivier se dit qu'il vaudrait mieux en rester là.
Arlette ne se cache pas d'aspirer à un certain train de vie, un penchant qu'Olivier juge de plus en plus sévèrement.
Ce constat m'a fait sourire dans la mesure où j'ai trouvé qu'Olivier était justement le plus superficiel des deux. Si Arlette aime briller en société et s'entiche d'hommes riches et influents, ses sentiments pour Olivier se veulent sincères.
Olivier lui s'est arrangé pour ne jamais rester longtemps au même endroit, se contentant d'aller là où le vent le mène, position qui lui permet d'enchaîner les rencontres éphémères et de ne pas trop s'impliquer dans ses relations.
Et pourtant lui vient toujours l'idée de vérifier si ses sentiments pour Arlette sont encore là, pour en "avoir le coeur net" comme il le répète à plusieurs reprises.
Bien qu'il soit conscient de cette confusion perpétuelle qui règne dans son esprit, je n'ai jamais ressenti dans ses propos autre chose qu'un simple constat.
A chaque fin de chapitre, j'avais l'impression qu'Arlette et lui étaient sur le point de passer à autre chose et au suivant, voilà que c'était reparti pour un tour.
Un grand sentiment de lassitude s'est donc emparé de moi au fil des pages.
A l'image de l'histoire, le style, certes fluide et pas déplaisant, n'a guère laissé de traces dans mon esprit.

" A se disperser vers tant de directions, ma vie pouvait paraître sans but à force d'en avoir. Elle avait pourtant un principe : goûter à tous les types d'existence. Chercher partout la saveur, la consistance, acquérir la palette de goûts la plus complète afin, au bout du compte, d'obtenir LA connaissance.
En fait, comme tout principe d'existence, le mien ne pouvait être suivi qu'au détriment d'un aspect de la réalité. Je cherchais la saveur profonde de la réalité, bien.
Sa variété dans tous les modes de vie possible, très bien. Mais dès qu'on s'attache à parcourir la palette des modes d'existence, on ne peut s'investir totalement dans aucune, on les effleure.
Avantage : contrairement à ceux qui s'investissent sans voir les choses passer, on prend le temps de les détailler, d'en savourer le goût.
Inconvénient : on n'est jamais sûr que ce soit leur vrai goût puisqu'on n'y est pas totalement investi. Une histoire de fou. " p.145



MERCI à et aux éditions de m'avoir offert ce livre !

16 février 2012

Mots pour Maux - Collectif


Publié en 2008, "Mots pour Maux" est un recueil de 18 nouvelles préfacé par Philippe Grimbert et composé des textes de Georges-Olivier Châteaureynaud, Marie-Ange Guillaume, François Vallejo, Mathieu Terence, Delphine de Vigan, Martin Wrinckler, Diane Meur, Boualem Sansal, Dominique Sylvain, Grégoire Polet, Michèle Fitoussi, Martin Page, Léonora Miano, Franz Bartelt, Anne Bragance, Vincent Delacroix, Sylvie Germain et Philippe Claudel.

Chacun de ces auteurs a choisi de prendre la plume pour évoquer le corps en souffrance comme résultat d'un trop plein d'émotions, d'une hantise ou d'une colère, d'une peine que l'on pensait guérie et qui s'extériorise.
Le corps malade serait ainsi doté d'un langage propre et apparaîtrait finalement comme la somatisation de l'esprit, manifestation d'un dysfonctionnement destinée à tirer la sonnette d'alarme.

Le corps exprime les vérités passées sous silence par l'esprit et révèle ainsi le sens caché de douleurs enfouies consciemment ou non.
Chaque texte a pour titre une métaphore corporelle utilisée dans le langage courant telle que "Les bras m'en tombent", "Blanche a vu rouge", "La tête comme une pastèque",...et chacune de ces histoires tourne alors autour de l'expression choisie.
Le jeune Aloïs Hoffle perd la face après qu'il ait refusé de se soumettre à un duel au sabre exigé par sa corporation.
Un homme épris de son aide-soignante met tout en oeuvre pour prolonger son séjour à l'hôpital et développe un urticaire plutôt tenace.
" Je passe sur deux autres périodes sombres; un remplacement un peu longuet en gériatrie, puis une affectation en cancérologie. Je ne me sentais pas le courage de vieillir prématurément, ni de m'exposer à une maladie incurable. Je me suis rongé au point de me déclencher, sans l'avoir cherché, je le jure, une éruption de rougeurs sur tout le corps, et, certains jours, un oedème sur le visage. Je ne cherchais même pas à me soigner. Je savais que Léna Mauser était inaccessible.
J'ai suivi ses mutations discrètement. Et le miracle le plus inattendu s'est produit : un poste de chef en dermatologie. Je n'avais pas à mentir ni à me forcer à être malade, je l'étais déjà." p.48

Une femme fomente une vengeance implacable contre son amant qu'elle sait être avec une autre.
Dans "Mes jambes coupées", Delphine de Vigan annonçait déjà le thème du suicide de sa mère évoqué dans son dernier roman "Rien ne s'oppose à la nuit".
" A plusieurs reprises déjà Lucille s'était ainsi soustraite au réel, l'avait repeint de ses mains, dans des couleurs de nuit; il fallait du temps et des médicaments pour la ramener sur terre.
J'ai pensé qu'être adulte ne prémunissait pas de la peine vers laquelle j'avançais, que ce n'était pas plus facile qu'avant, quand nous étions enfants, qu'on avait beau grandir et faire son chemin et construire sa vie et sa propre famille, il n'y avait rien à faire, on venait de là, de cette femme; sa douleur ne nous serait jamais étrangère." p.79

Il est aussi question d'un homme qui, plongé dans les yeux de sa maîtresse, pénètre son âme et y apprend la vérité sur son compte, d'un "1984" revisité par Boualem Sansal, d'une conspiration des casse-couilles chargée de pourrir la vie d'un écrivain ou encore d'un médecin à ce point impliqué dans la vie de ses patients qu'il finit par absorber leurs maux.
Pendant ce temps-là, un barman revient doucement à la vie, une romancière part à Rhodes pour décider du sort de son personnage qui lui procure d'incessantes migraines, une femme affirme son envie de changer de sexe lors d'un entretien d'embauche, une petite fille tire les leçons de la "bonne attitude" inculquée par sa grand-mère.
Parmi mes textes préférés figurent assurément "Prise de tête ou l'ange de l'oubli" d'Anne Bragrance - qui suit les traces d'un homme né avec un bec de lièvre et lequel compte bien réclamer son dû à l'ange qui l'a délaissé le jour de sa naissance - et "Les bras m'en tombent" de Vincent Delacroix ou le monologue d'un ancien gardien de musée reconverti en agent de la circulation qui disserte sur la lassitude éprouvée par la Vénus de Milo au point que celle-ci en ait perdu les bras.

L'avantage de ce recueil est qu'il se veut très hétéroclite. Il m'a non seulement permis de côtoyer bon nombre d'écritures fort différentes mais m'a également semblé faire montre d'une très grande originalité dans le traitement de ce thème pas forcément folichon de prime abord.
Alors que je m'attendais à découvrir des variations autour de maladies bien connues, j'ai bien souvent été surprise par le côté saugrenu, absurde, fantastique même parfois, de ces textes qui m'ont décoché plus d'un sourire.


L'avis de Clara

11 février 2012

Les Filles de l'ouragan - Joyce Maynard


Sorti en librairie le 5 janvier dernier, "Les Filles de l'ouragan" est un roman de l'écrivaine américaine Joyce Maynard, également auteure du roman autobiographique "Et devant moi, le monde" ou encore de "Long week-end" ou de "Baby Love".

Une nuit d'octobre 1949, alors que le New Hampshire fait face à un terrible ouragan, deux enfants sont conçues.
Dana Dickerson et Ruth Plank naîtront le même jour, dans le même hôpital, coïncidence qui poussera Connie Plank, la mère de Ruth, à considérer les 2 fillettes comme des "soeurs d'anniversaire" et à vouloir maintenir un lien avec les Dickerson.
La famille Plank possède une ferme héritée de père en fils depuis plusieurs générations.
Très attaché à sa terre et bien que la nature ne lui ait donné que des filles, Edwin Plank espère néanmoins que Ruth prendra un jour la relève.
Mais bien qu'elle aime passer du temps avec son père, la petite fille manifeste très tôt un intérêt prononcé pour l'art auquel elle entend bien consacrer sa vie.
Malgré les instances de sa mère, elle ne se sent pas d'affinités avec Dana mais se révèle en revanche très attirée par son frère Ray, jeune homme lunatique qui exerce sur elle une étrange fascination.
A l'opposé du couple Plank, Val et George Dickerson mènent une vie de bohème et ne restent jamais bien longtemps au même endroit. Tandis que George multiplie les projets sans lendemain, sa femme se consacre totalement à la peinture, occultant l'éducation de leurs enfants qui les appellent par leurs prénoms.
Contrairement à son frère devenu vagabond, Dana entreprend des études d'agriculture, avec l'espoir de pouvoir un jour acquérir sa propre terre et en vivre.
Ruth l'artiste, Dana la terre-à-terre, deux parcours foncièrement différents et des destins pourtant intimement reliés par les secrets et les vicissitudes de la vie.

Les voix de Dana et de Ruth se partagent en alternance le récit de ce qui s'annonce comme une saga familiale étalée sur une cinquantaine d'années.
Le choix du récit à 2 voix fut judicieux en ce qu'il permettait à l'auteure d'examiner 2 modes de vie radicalement différents et de mettre en parallèle des étapes dans la vie de ces femmes tout en en soulignant les nuances.
Dana et Ruth ont toutes deux du composer avec un manque d'amour maternel et une difficulté à se faire une place dans leur propre famille comme en société.

" Elle avait bien saccagé ma vie et m'avait ramenée à la maison par la force effrayante de sa conviction et sa détermination.
Mais une fois la chose accomplie, elle aussi paraissait abattue, épuisée.
Elle ne dit rien quand je portai le carton avec toutes mes possessions dans la voiture de Josh.
Je n'emportais presque rien à Boston. Je ne voulais rien qui pût me rappeler ce lieu.
" Pas de débordement d'amour entre vous, je suppose ?" demanda Josh alors que je déposais ma valise sur le siège arrière avant de remonter dans ma chambre pour un dernier tour.
" Si je ne la revois jamais, c'est OK pour moi", lui répondis-je.
Je fis une ultime chose avant de quitter la ferme. Je tirai de sous mon lit le cahier de croquis de mon adolescence, avec tous les dessins coquins que je faisais à l'époque, tentatives fiévreuses d'une gamine de treize ans de figurer les combinaisons pécheresses des corps d'hommes et de femmes qu'elle imaginait. Mes frémissants premiers essais dans la pornographie.
Pendant toutes ces années, ce cahier de croquis était resté sous mon lit, enfoui dans la pile de magazines du Club 4-H et de vieux exemplaires du National Geographic. Je le descendis.
Je le posai sur la table de la cuisine, près de la Bible que ma mère lisait tous les matins en prenant son café.
Inutile de laisser un mot. Elle reconnaîtrait l'artiste. " p.194

Leur monde bouge. L'auteure nous rappelle que l'époque est celle de Woodstock, de l'arrivée des Beatles en Amérique, du premier pas sur la Lune, de l'assassinat de JFK, de la Guerre du Vietnam, de l'émergence de la grande distribution qui commence à menacer l'agriculture, domaine qui occupe une place de choix dans ce roman.

Durant toute ma lecture, j'ai ressenti une aisance certaine dans l'écriture, comme si l'auteure connaissait intimement ses personnages, sans pour autant les juger ou accorder sa préférence à l'un ou à l'autre.
Une impression que j'avais déjà eue à la lecture de "Et devant moi, le monde" mais que j'imputais au fait que l'auteure y racontait sa propre histoire - une histoire que j'ai d'ailleurs retrouvé par certains aspects dans ce roman.
"Les Filles de l'ouragan" a exercé sur moi la même curiosité, le même attachement pour ces personnages que je me représentais de chair et d'os.
J'ai aimé Edwin Plank pour sa générosité, sa femme et son sens du devoir, Ray et ses démons intérieurs, George et ses espoirs déchus, Val et son détachement.
Et plus que tout, je me suis attachée de façon égale à Ruth et à Dana, ces femmes sensibles et fortes à la fois, entières et passionnées.

"Les Filles de l'ouragan" m'a énormément plu pour son écriture dépouillée, sa construction équilibrée, la finesse dans l'analyse des personnages.
Certes la fin se devine entre les lignes et il existe une chance sur 1000 pour qu'elle soit plausible mais ce serait oublier qu'il s'agit ici d'un roman et en ce qui me concerne, ce fut un sacré coup de coeur !
Quelque chose me dit que je suis loin d'en avoir fini avec Joyce Maynard :)


MERCI à et aux de m'avoir offert ce livre !


8 février 2012

La double vie d'Anna Song - Minh Tran Huy


Après "La Princesse et le Pêcheur", "La double vie d'Anna Song" est le second roman, publié en 2009, de l'écrivaine française d'origine vietnamienne Minh Tran Huy.

Tous deux élevés par leurs grands-mères, Anna et Paul ont passé leur enfance côte à côte pour ensuite se perdre de vue durant près de 15 ans et se retrouver comme si de rien n'était, liés par une complicité intacte.
Anna a voué son existence au piano et son rêve de faire carrière dans la musique n'a eu de cesse que de rythmer son quotidien tandis que Paul, en totale admiration pour cette femme passionnée, fonde son bonheur sur sa seule présence dans sa vie.
Mais la carrière prometteuse de la jeune pianiste prend fin inopinément, lorsqu'elle apprend qu'elle est atteinte d'un cancer qui lui sera fatal.
Paul, qui a toujours cru en son talent, entreprend de lui assurer une gloire posthume en adressant à la presse spécialisée des enregistrements réalisés alors qu'Anna vivait en recluse ses dernières années.

" Vivre, c'est s'obstiner à achever un souvenir." René Char

L'auteure s'est largement inspirée de l'affaire "Joyce Hatto" - pianiste britannique décédée d'un cancer avant d'avoir pu faire carrière et dont le mari fut accusé d'escroquerie - pour construire son récit.
C'est à travers les mots de Paul que le lecteur découvre petit à petit la vie d'Anna.
Anna est issue de parents ayant fuit le Vietnam dans l'espoir d'une vie meilleure mais qui continuent d'entretenir un rapport très étroit avec la famille restée au pays et leurs ancêtres disparus, particulièrement le grand-père d'Anna auquel elle dédie sa musique.
Artiste sensible et obstinée, elle semblait vivre dans un monde bien à elle, idéalisé, jusqu'à ce que la réalité la rattrape et l'empêche à jamais d'accéder à son rêve.

Le récit de Paul est entrecoupé d'articles de magazines spécialisés, faisant office d'interludes qui m'ont parfois semblé redondants mais qui se laissent vite oublier par cette ambiance cotonneuse, propice à la rêverie et cette grande sensibilité musicale déployée par l'auteure.
Flagorneurs dans les débuts, ils laissent petit à petit place aux doutes quant au véritable talent d'Anna Song et à la légitimité de son mari.
Imposture ou pas, ce qui transparaît dans ce roman est sans aucun doute l'amour inconditionnel de Paul pour Anna, cette femme sans cesse fantasmée, admirée et aimée plus que de raison.
Un récit sur l'amour intemporel qui rend hommage aux êtres qui continuent de vivre dans le souvenir de ceux qui restent et qui s'avère d'autant plus touchant lorsqu'on arrive à la révélation finale !

" Elle avait beau arpenter cette terre, elle semblait vivre sur une autre, bien plus riche et poétique que celle que je connaissais, et qu'elle me faisait entrevoir chaque fois que nous nous retrouvions.
C'était comme un secret qu'elle portait en elle et que, me semblait-il, j'étais toujours sur le point de pénétrer lorsque ma grand-mère et Mme Thi nous rappelaient à elles pour rentrer à la maison.
C'était ce secret, j'en étais intimement persuadé, qui donnait à la musique créée par ses mains ce caractère absolu. Derrière la délicatesse des nuances et le toucher assuré, on décelait quelque chose d'autre, comme une soif d'exister, une aspiration inextinguible dotant chacune des notes jouées par Anna d'une vibration particulière; elle partait du ventre pour parcourir tout l'organisme, dans un fourmillement irradiant coeur, poumons, muscles, peau, avec une intensité telle qu'il me semblait parfois que j'allais imploser.
Que mon corps, semblable à une prison de chair, était trop étroit pour contenir tout ce que je ressentais en écoutant Anna." p.47

D'autres avis : George - Sandrine - Clara