26 septembre 2012

Ce que cache ton nom - Clara Sanchez



En librairie depuis aujourd'hui, "Ce que cache ton nom" est un roman de l'écrivaine espagnole Clara Sanchez, également auteure de "Un million de lumières".

Enceinte d'un homme dont elle n'est pas amoureuse, Sandra est venue trouver refuge à Dianium dans la maison d'été de sa soeur. Victime d'un malaise au cours d'une promenade sur la plage, elle rencontre les Christensen, un vieux couple de Norvégiens qui décident de la prendre sous leur aile.
Peu habituée à ce que l'on s'occupe d'elle, Sandra se laisse choyer et convaincre d'emménager chez les octogénaires moyennant quelques menus services.
Suite à une mystérieuse lettre provenant d'un ami de longue date tout juste décédé, Julian, un vieil homme rescapé du camp de Mauthausen, débarque lui aussi à Dianium avec pour mission de traquer un couple de nazis à la retraite...

J'ai découvert ce roman sous forme d'épreuves non corrigées et je dois dire que pour une fois, mes yeux n'ont pas trop eu à souffrir des nombreuses coquilles généralement présentes dans ce format.
Bien que l'intrigue tarde à se mettre en place, on se doute assez vite du rapprochement entre Sandra et le vieux Julian.
Complètement paumée à l'annonce de sa grossesse, la jeune femme passe son temps à lézarder sur la plage en se demandant si elle sera une mère à la hauteur pour son enfant. Comment envisager l'avenir ? Le père en fera-t-il partie ? De quoi vivra-t-elle ? Au bout d'un moment, ses interrogations à répétition m'ont quelque peu lassée.
Lorsqu'elle rencontre les Christensen, elle voit en eux de chaleureux grand-parents de substitution dont la richesse ne gâche rien. Mais au bout d'un certain temps, elle finit par éprouver un malaise de plus en plus tenace qu'elle ne parvient pas vraiment à s'expliquer. Sa rencontre avec Julian lui fera envisager le vieux couple sous un tout autre angle que ce qu'elle s'imaginait au départ.
Julian est un personnage assurément plus intéressant car plus complexe. Alors que Sandra songe constamment à ce que lui réserve le futur, le vieil homme semble entièrement tourné vers son douloureux passé et cette haine qui l'a amené à traquer toute sa vie d'anciens tortionnaires nazis et ainsi empêché de connaître le bonheur, malgré la présence de sa femme et sa fille.
Tiraillé entre son obsessionnelle soif de vengeance et les scrupules éprouvés vis-à-vis des conseils de sa défunte femme et de sa fille, il entend bien mener sa dernière mission à terme avant de se ranger définitivement.

Comme je l'annonçais plus haut, il faut attendre une bonne centaine de pages avant que l'intrigue ne commence à se dérouler. La trame s'épaissit au moment de la rencontre entre Sandra et Julian puisque, désormais alertée de la véritable identité de ses bienfaiteurs, la jeune femme commence alors à fouiner là où elle ne devrait pas.
Malheureusement, si j'ai constaté une tension égale d'un bout à l'autre de ce roman et souvent tremblé devant les risques inconsidérés que prennent les deux héros, je n'ai jamais réellement ressenti cette mise en danger habituellement présente dans les thrillers.
Certes les principaux protagonistes ne sont plus tout jeunes (80 ans bien sonnés pour la plupart) mais ils disposent de jeunes recrues toutes prêtes à intimider les curieux voire plus si nécessaire.
J'ai achevé cette lecture avec une impression confirmée de tiédeur, notamment lors de la scène qui confronte Julian aux Christensen, comme si ce roman n'avait jamais vraiment décollé. Toute cette histoire se termine un peu trop bien pour Julian et Sandra à mon goût.
Vu le milieu hostile dans lequel ils baignent et la promesse d'un "thriller aux accents hitchcockiens" annoncée dans le résumé, je m'attendais à un thriller un peu moins bavard et surtout plus peps...



Je remercie néanmoins Laetitia Joubert et les éditions Marabout de m'avoir offert ce livre

D'autres avis : Mango - Daniel Fattore - Pimprenelle




24 septembre 2012

Serum Saison 1 épisode 1 - H.Loevenbruck et F.Mazza


En librairie depuis le 28 mars 2012, "Serum - épisode 1 saison 1" est le premier volet d'une série co-écrite par les français Henri Loevenbruck et Fabrice Mazza. Six épisodes composeront la saison 1 et il en sera de même pour les saisons 2 et 3.
Les deuxième et troizième épisodes sont respectivement sortis le 25 avril et le 27 juin. Le quatrième épisode sera disponible dans quelques jours. Les cinquième et sixième épisodes sont quant à eux annoncés, l'un pour le 24 octobre et le dernier de la saison pour le 28 novembre.

Les mains en sang, un homme dans une chambre d'hôtel visionne une VHS. Un autre subit une étrange opération des jambes.
Une jeune femme dévale les rues de Brooklyn, semblant fuir quelque chose ou quelqu'un. Arrivée au Brooklyn Museum, elle s'abrite derrière une sculpture avant de marmonner quelques mots et de déclencher volontairement l'alarme, provoquant immédiatement une fusillade.
Sa course folle continue jusqu'au parc de Fort Greene où, prise au piège, elle reçoit une balle en pleine tête.
Dépêchée sur les lieux, la détective Lola Gallagher constate que la jeune femme respire encore et la fait transférer d'urgence à l'hôpital.
Pour seuls indices, la victime arbore des traces de peinture sur les mains et une alliance dont l'inscription intérieure donne à penser qu'elle s'appellerait Emily et qu'elle serait mariée à un certain Mike.
Malheureusement pour l'enquête, la jeune femme semble non seulement dépourvue d'empreintes digitales mais souffre également d'une amnésie rétrograde qui empêche toute identification et tout souvenir de ce qui est arrivé.
Alors qu'un mystérieux ennemi continue d'essayer d'éliminer Emily, toujours sans piste aucune, Lola Gallagher décide de faire appel à son vieil ami le Docteur Draken, un psychiatre spécialisé dans la thérapie par l'hypnose.
Emily retrouvera-t-elle la mémoire et avec elle l'identité de ceux qui ont juré sa perte ?

Lorsque la série "Serum" a commencé à faire parler d'elle sur la blogosphère il y a quelques mois, j'étais plutôt réticente pour plusieurs raisons.
Je n'étais pas emballée à l'idée de me lancer dans une série dont je devrais certainement attendre les tomes durant des semaines (voire des mois) et dont l'aspect financier me freinait (faites le calcul, pour lire la série en entier, il faudra quand même débourser une petite centaine d'euros...).
Par ailleurs, je craignais également le flop littéraire déguisé derrière la grosse campagne marketing façon "Level 26" avec ses super éléments interactifs* qui loin de constituer une valeur ajoutée à l'écrit n'ont fait qu'en souligner davantage la faiblesse.


Ayant en plus souvent été déçue par des auteurs français s'illustrant pâlement dans le genre du polar/thriller, j'avais juré qu'on ne m'y reprendrait plus.
Mais au bout de quelques mois, les avis positifs s'accumulant, j'ai finalement décidé de prendre le train en marche. Et ma foi, je dois dire que ce premier épisode se lit plutôt bien (lu en deux heures à peine).
Soutenu par un rythme sans temps mort décliné en de courts chapitres, le récit enchaîne efficacement scènes d'action et phases d'enquête.
Le lecteur fait timidement connaissance avec le cynique Docteur Draken, psychiatre peu banal, Velasquez, jeune recrue du 88ème district, Phillip Detroit, spécialiste de la criminologie informatique, la victime Emily "Scott" (nom donné par le service de protection des témoins qui l'a prise en charge) et bien sûr de Lola Gallagher, détective irlandaise réputée pour son bon instinct.

Evidemment, à l'issue de ce premier tome, tout ou presque reste encore à approfondir y compris, je l'espère, les personnalités des différents personnages - plutôt conventionnelles à ce stade de l'histoire - et les relations qui les lient. Gageons que tout ceci gagne en épaisseur au fil du récit.
Néanmoins, ma curiosité a suffisamment été aiguisée que pour me donner envie de découvrir les épisodes suivants.
Une chose est sûre, vous entendrez encore parler de "Serum" sur ce blog :)

D'autres avis : Géraldine - Liliba - Brize - L'Irrégulière



 ( *Dans ce cas-ci, je ne les ai pas testés. J'aurais pu emprunter l'Iphone de l'homme mais je ne ressentais pas la nécessité de lire en musique, d'autant que vu le nombre de flashcodes - un à chaque chapitre -, leur écoute aurait, je pense, ralenti ma lecture).

19 septembre 2012

L'agenda - Caroline Duffaud


A paraître au mois d'octobre, "L'agenda" est le premier roman de Caroline Duffaud.

Décidée à prendre un nouveau départ, une jeune femme fait l'acquisition d'un agenda Président dans lequel elle consigne les événements survenus quelques mois plus tôt.
Chargée de communication dans l'événementiel, elle a plaqué son boulot sur un coup de tête, sollicité son petit ami jusqu'à le faire fuir et s'est essayé à plusieurs jobs sans plus de conviction.
Sera-t-elle un jour capable de trouver un sens à sa vie ?

J'ai eu la surprise de recevoir ce livre dans ma boîte aux lettres et, compte tenu de son petit format, j'ai pu le lire le soir-même.
Au bout de quelques pages, j'ai assez vite décelé quelques éléments caractéristiques de la chick lit, genre dont je ne suis guère friande : l'héroïne trentenaire branchée travaillant dans la comm' et habituée à un certain train de vie, le lâche petit ami qui met les bouts, les quelques situations cocasses, les aventures d'un soir, le happy-end.
L'héroïne, au creux de la vague, s'enivre, erre dans Paris, ré-introduit dans son quotidien cette petite dose d'imprévu et de fantaisie difficile à placer autrefois entre deux rendez-vous d'affaires.
Ainsi elle se fait passer pour une aveugle dans le métro alors qu'elle porte une tringle à rideaux ou encore dans un parc pour pouvoir reluquer à loisir un couple en pleine action.
Entre le yoga du mardi et la séance chez le psy le jeudi, elle compose comme elle peut, attendant le fameux déclic qui sera le fameux point de départ de sa nouvelle vie.

Je suis plutôt partagée concernant le style de ce roman. D'un côté, étant donné qu'il s'agit d'un agenda, j'aurais trouvé bizarre que l'écriture soit travaillée, déclinée en de longues et belles phrases, alors qu'un agenda est supposé recueillir des pensées en vrac, écrites sur le vif.
D'un autre, j'ai justement été déçue par l'aspect "peu littéraire" de ce roman.
Ayant autrefois vécu une situation similaire à celle de l'héroïne, je me suis reconnue dans certains passages, parfois même au mot près !
Essayer de meubler ses journées sans culpabiliser, faire des listes pour tout et n'importe quoi comme pour donner un sens à sa journée, ne plus savoir quoi raconter à ses amis qui, eux, travaillent.
Mais justement, si j'ai moi aussi pris le temps de consigner mes réflexions dans un journal, il n'y avait rien de littéraire dans ma démarche, seulement une tentative de combler un vide en noircissant des pages.
Aussi ne songerais-je jamais à les reproduire telles qu'elles pour en faire un roman...

Du reste, je n'ai pas du tout adhéré à certaines considérations superficielles lancées par l'auteure sur les magasins tels qu'Ikea ou H&M et cette façon méprisante de jauger les gens qui y travaillent ou achètent leurs produits. Personne n'aime acheter des vêtements qui traînent au sol pour ensuite les essayer dans une cabine qui sent le gymnase mais seulement voilà, tout le monde n'a pas les moyens de faire chauffer sa carte bleue aux Galeries Lafayette.

" Nous étions trois vendeuses, Isabelle, Sabrina et moi, plus le patron à la caisse. Le samedi, je travaillais toute la journée parce que dans ce quartier populaire il y avait beaucoup de monde le samedi après-midi.
La boutique était située à deux pas du McDonald's, ce qui nous garantissait une clientèle de choix.
Parfois, on retrouvait même des frites dans les chaussures." p.41

Malgré la perte de son emploi, à aucun moment l'héroïne ne semble manquer d'argent. Elle continue de vivoter jusqu'à trouver l'amour.
A partir de là, alors que sa situation personnelle ne semble pas avoir bougé d'un iota, c'est comme si celle-ci passait au second plan derrière le bonheur d'être en couple et d'avoir un enfant.
Autant dire que je n'ai pas apprécié la morale de cette histoire...

Un roman beaucoup trop creux pour moi. Cette héroïne m'a fait l'effet d'une enfant trop gâtée qui se crée volontairement des problèmes pour se sentir exister.
Elle ne m'a rien appris que je ne savais déjà. Je n'ai été ni surprise, ni émue, ni solidaire, ni poussée à la réflexion.

Je remercie néanmoins Caroline Duffaud de m'avoir envoyé son roman.

L'avis de George



14 septembre 2012

Le Libraire - Régis de Sa Moreira


Publié en 2004, "Le Libraire"est un roman de l'écrivain français Régis de Sa Moreira, également auteur des romans "Pas de temps à perdre", "Zéro tués", "Mari et femme" et tout récemment de "La vie".

Le lecteur s'immisce dans le quotidien d'un libraire plutôt atypique puisque sa librairie est ouverte jour et nuit sans interruption. Dès le départ d'un client, l'homme a pour habitude de se servir une tasse de tisane différente à chaque fois. Mais comme les clients se font plutôt rares, il passe son temps à lire (et ne vend d'ailleurs que des livres lus et aimés) quand il ne déchire pas des extraits de livres pour les envoyer à ses frères et soeurs en guise de correspondance.
Comment réussit-il à faire tourner cette libraire ? Pas commerçant pour un sou, il ne vend rien mais assiste impuissant aux allées et venues de visiteurs tels que "l'homme qui cherchait des livres de merde", un témoin de Jéhovah, la plus belle femme du monde qui cherche un fiancé, un voyageur ou encore une femme en quête de sexe.

Après ma déception du mois dernier avec cet auteur
, j'avais décidé de lire dans la foulée ce roman-ci puisqu'il se trouvait déjà dans ma PAL depuis un moment.
Je pense en rester là avec Régis de Sa Moreira compte tenu de la puissante sensation d'ennui éprouvée à la lecture du "Libraire".
A nouveau, je me suis heurtée à un style plat comme à d'incessantes répétitions me donnant l'impression de lire une récitation et de stagner à la manière de ce libraire dont la vie se résume à une série de non-événements et de visites dont le côté absurde retombe rapidement à plat.

" Ces pages étaient pour chacun et chacune différentes, ainsi qu'étaient différents les emplois que chacun et chacune des frères et soeurs du libraire en faisaient.
Mais tous les lisaient.
Tous les lisaient.
Et le libraire savait que tous les lisaient." p.32

" Le libraire avait aimé ces trois femmes plus que ses livres, plus que ses frères et soeurs, mais il n'avait pas perdu ses livres et ses frères et soeurs, pas plus que ses livres et ses frères et soeurs ne l'avaient perdu." p.56


D'autres avis : Theoma - Leiloona - Stephie - Jules - Clara

11 septembre 2012

Cet extrême amour - Régis Jauffret


Publié en 1986, "Cet extrême amour" est le second roman de l'écrivain français Régis Jauffret, notamment auteur de "Microfictions", "Lacrimosa", "Sévère" et récemment de "Claustria".

Une jeune éditrice rencontre par hasard sur un plateau télé Loïc, un homme divorcé et père de 2 enfants. Entre eux, le coup de foudre est immédiat et bien qu'elle ne s'amourache pas facilement d'ordinaire, elle emménage rapidement chez Loïc, abandonne son travail et s'éloigne de ses amis et de sa famille pour se consacrer entièrement à lui.
Bien sûr, elle trouve le temps long en attendant son homme, il y a les petites jalousies mais cette relation exclusive semble finalement leur convenir à tous les deux.
Rien ne saurait les séparer si ce n'est peut-être un drame...

" J'ai vu ton corps massacré glisser dans le cercueil." C'est sur cette charmante première phrase que s'ouvre ce court roman dédié à une relation aussi intense que brève puisque le lecteur sait dès le départ que celle-ci ne durera que 40 mois.
Narratrice de sa propre histoire, une femme revient sur sa rencontre et son quotidien avec Loïc, cet homme qu'elle aime au point d'en oublier sa propre vie.

" Je ne vivais plus que pour Loïc. J'avais besoin de le voir partir chaque matin, en retard. J'avais besoin de l'imaginer quand il n'était pas là. Le soir, je comptais les minutes qui me séparaient encore de lui, j'écoutais l'ascenseur, je scrutais le palier par l'oeilleton jusqu'à ce qu'il apparaisse enfin." p.22

Ce seul passage suffit à résumer le contenu de ses journées. Pas grand chose en somme à part flâner, dormir, pester sur la présence de la femme de ménage, s'occuper comme elle peut en guettant le retour de Loïc, imaginer ce qu'il fait à toute heure du jour et comment se profilera leur soirée.
Je ne ressens pas le besoin particulier de devoir absolument m'identifier à un personnage pour pouvoir apprécier ma lecture mais dans ce cas-ci, j'ai vraiment eu beaucoup de mal avec cette femme, son oisiveté, cette faculté qu'elle a à réduire le sens de sa vie à son amour "pathologique" pour un homme.
Je ne comprends pas comment il est possible de se contenter de ça, de ne pas vouloir vivre un peu pour soi, d'être heureuse uniquement à travers et grâce à l'autre.
Et je ne comprends pas non plus comment l'autre peut supporter cette dépendance malsaine, se savoir attendu et épié devant la porte.
Mais du point de vue de Loïc, on ne saura rien. Le récit est ainsi fait : elle aime pour deux, elle raconte pour deux, revivant en accéléré leur histoire qu'elle décrit tout en la sachant condamnée.
C'est à peine si j'ai eu le temps de voir défiler ces 100 pages tant le style épuré et le rythme soutenu de la narration m'ont menée vers la fin en un éclair.

"Les histoires d'amour finissent mal en général" comme le chantaient les Rita Mitsuko et ce refrain est apparemment d'autant plus vrai s'agissant des romans torturés de Régis Jauffret.
Je ne suis pas certaine d'avoir commencé par le bon roman pour découvrir cet auteur car, à part de l'agacement vis-à-vis de la narratrice, je n'ai pas eu le temps de ressentir grand chose d'autre.

6 septembre 2012

Mémoire de mes putains tristes - Gabriel Garcia Marquez


Paru en 2004 et traduit en français l'année suivante, "Mémoire de mes putains tristes" est un roman de l'écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez, notamment auteur des romans "L'amour au temps du choléra", "Cent ans de solitude" ou encore de "Chronique d'une mort annoncée".

L'année de ses 90 ans, un vieil homme décide de s'offrir une nuit de débauche avec une jeune pucelle.
Le temps d'un coup de fil à Rosa Cabarcas, maquerelle chez qui il avait autrefois ses habitudes, et le voilà pénétrant dans une chambre où l'attend sagement une jeune fille endormie de 14 ans.
Mais, contre toute attente, comme touché par la grâce, le vieil homme succombe à la beauté innocente de celle qu'il nommera "la petite" ou "Delgadina", et choisit de ne pas lui ôter sa vertu.

" C'était nouveau pour moi. J'ignorais les artifices de la séduction car j'avais toujours choisi mes fiancées d'une nuit au hasard, plus pour leur prix que pour leurs charmes, et nous faisions l'amour sans amour, la plupart du temps à demi vêtus, et toujours dans le noir pour nous imaginer plus beaux que nous ne l'étions.
Cette nuit-là, j'ai découvert le plaisir invraisemblable de contempler le corps d'une femme endormie sans l'urgence du désir ni les inconvénients de la pudeur." p.37

Pourtant grand habitué des relations sans lendemain, toujours monnayées, le voici transfiguré en un homme nouveau, en proie à des émois adolescents insoupçonnés : un homme amoureux pour la première fois de sa vie que la passion rend inquiet, jaloux, obsédé, possessif, dépensier.
Il est le premier surpris de sa métamorphose, lui qui a passé son existence à ne vivre que pour son propre plaisir prend soin et se soucie d'une jeune femme endormie dont il ne connaît pas l'histoire, le son de la voix, ni même le nom.
Entre eux, toute histoire est impossible tant le décalage est grand entre ce vieil homme éveillé et cette jeune femme engourdie par le sommeil.
Soumise à lui, objet d'une relation fantasmée, elle procure au vieil homme le sentiment d'une seconde jeunesse mais lui rappelle aussi que son temps est compté.

On oublie rapidement les intentions malsaines qui animaient le vieil homme au départ pour découvrir cet amoureux fébrile qu'il est devenu grâce à sa "rencontre" avec Delgadina.
Aussi, de cette ville colombienne rongée par la censure et la corruption émerge une tendresse inattendue entre deux êtres inaccessibles.
Comme "Les Belles Endormies" (auquel l'auteur rend hommage en reproduisant les premières lignes en exergue), "Mémoire de mes putains tristes" revisite le thème de la jeunesse retrouvée au contact de corps purs et pas encore entamés par le passage du temps.
La différence entre les deux ouvrages réside principalement selon moi dans le traitement du thème. Si l'aspect charnel et introspectif est beaucoup plus appuyé chez Kawabata (le vieil Eguchi ne se "fixe" pas sur un corps en particulier, du moment qu'il s'agit d'une jeune femme), la tendresse occupe une place de choix dans le texte de Garcia Marquez puisque son héros tombe bel et bien amoureux d'une jeune femme, refusant d'en rencontrer d'autres.

J'ai trouvé un peu trop facile de recourir à une histoire d'amour pour se démarquer des "Belles Endormies". Certes, je ne me suis pas ennuyée. Peut-être aurais-je davantage apprécié ce roman si je n'avais d'abord lu "Les Belles Endormies" mais le fait est que j'ai largement préféré le roman de Kawabata, plus profond, plus complexe, plus intriguant, plus poétique et assurément plus audacieux.

L'avis de Ys

3 septembre 2012

Rien n'est trop beau - Rona Jaffe


Publié en 1958, "Rien n'est trop beau" est le premier roman de l'écrivaine américaine Rona Jaffe.

Le 2 janvier 1952, la jeune Caroline Bender fraîchement débarquée à New-York entame son premier jour de travail en tant que dactylo dans une prestigieuse maison d'édition.
Ambitieuse, Caroline est bien décidée à se plonger dans le travail, surtout pour oublier Eddie, son ex-fiancé qui lui a préféré une femme plus riche.
Caroline fait la connaissance d'April Morrisson, qui a vite dit adieu à ses rêves de gloire et de paillettes pour pouvoir rester vivre à New-York, et de Gregg Adams, secrétaire aspirant à fouler les planches de Broadway, laquelle deviendra sa colocataire.
En dessous de chez April vit Barbara Lemont, journaliste pour "Femmes d'Amérique"qui peine à subvenir aux besoins de sa fille et de sa mère.
Si ces 4 jeunes femmes entendent bien prendre du galon au sein des éditions Fabian, elles espèrent aussi que Big Apple leur réservera d'heureuses rencontres.

Attirée par cette couverture d'un autre temps et par le résumé très whartonien de ce roman, j'appréhendais toutefois de me retrouver plongée dans de la "pré-chick litt" mais l'avis enthousiaste de Manu m'a décidée à oublier mes a priori.
Dans un trépidant New-York d'après-guerre où tout semble possible, "Rien n'est trop beau" suit pas à pas l'ascension sociale et les déboires amoureux de 4 jeunes femmes célibataires et pas forcément heureuses de l'être.
Autour d'elles, leurs collègues se fiancent et finissent par démissionner d'un boulot dont on peut penser qu'il n'était que transitoire.
Contrairement aux autres jeunes femmes de sa génération, Caroline s'épanouit vraiment dans son travail et se refuse à devoir choisir entre une carrière prometteuse et un bon mariage. Néanmoins, elle désespère de pouvoir tomber amoureuse d'un homme intéressant, honnête et respectueux.
Et on comprend son défaitisme à mesure que l'on découvre les énergumènes peuplant ce roman.
Hommes mariés, dandys immatures, indécis, manipulateurs, même leurs supérieurs masculins tentent de tirer parti de l'insouciance de ces 4 oies blanches.
Il faut dire qu'au départ, elles m'ont semblé vraiment gourdes ( je pense notamment à cette scène où April demande à Caroline ce qu'on fait de la couverture pendant le sexe...) et c'est malheureusement l'expérience et les désillusions qui les feront mûrir, pas forcément dans le bon sens pour certaines, en leur faisant prendre conscience du monde impitoyable dans lequel elles vivent.
Les joies futiles cèdent alors le pas aux déceptions profondes et ces femmes d'abord jugées pathétiques en deviennent touchantes.
Avec à peine de quoi assumer une colocation, elles ne disposent pas d'argent en trop pour les extras. Aussi dépendent-elles des hommes pour les sortir, même si ils ne leur plaisent pas.
( Cela dit en passant, je n'ai jamais lu un roman où l'on picolait plus que dans 5 saisons de Dallas réunies !!! A chaque page tournée, je retrouvais les personnages un verre de scotch ou de gin tonic à la main !)
Forts de cet avantage, beaucoup d'entre eux croient pouvoir tout se permettre en retour, se chargeant bien de leur rappeler où est leur place.
La pression sociale, alimentée par les questions des parents, est tellement forte et le mariage, présenté comme le Saint-Graal, gage de sécurité, semble être l'unique façon pour une femme de se faire une situation respectable et d'accéder au bonheur.

Si l'extrême naïveté de ces héroïnes semble appartenir à un autre temps, les déceptions amoureuses n'ont quant à elles ni âge ni époque.
Il a toujours existé des hommes fourbes, condescendants, égoïstes pour, si pas alimenter, entretenir les illusions de jeunes femmes suffisamment éprises que pour se contenter de ce qu'ils veulent bien leur concéder.
Bien que j'ai souri à la lecture de mots désuets tels que "aérodrome" ou "avorteur", j'ai trouvé que ce roman conservait malgré tout une résonance très actuelle.
"Rien n'est trop beau" peut faire penser à Sex & The City façon années 50, pour ses descriptions, à chaque début de chapitre, de l'effervescence new-yorkaise en toutes saisons. Mais la grande différence réside en ce que Carrie, Samantha, Charlotte et Miranda, contrairement à leurs aînées, ont les moyens de s'offrir de belles parures, des voyages, des virées entre amies, mais surtout le luxe de pouvoir choisir leur vie.

L'avis de Manu


Bonne nouvelle pour les intéressé(e)s, "Rien n'est trop beau" est disponible au Livre de Poche depuis le 29 août !