30 octobre 2012

Libellules - Joël Egloff


Disponible en librairie depuis le 30 août dernier, "Libellules" regroupe 25 textes signés par l'écrivain français Joël Egloff, également auteur des romans "L'Etourdissement" et "L'homme que l'on prenait pour un autre".

Un père en prise avec les questions de son fils au sujet de la mort, un homme guettant depuis 8 ans sa voisine secouant son linge, un écrivain surpris du manque d'intérêt de sa coiffeuse pour son métier, un nostalgique de la carabine à patates ou du clocher de l'église mystérieusement disparu, un futur touriste des îles Hébrides, un aspirant plombier en Antarctique, un homme obsédé par un sablier capricieux, un autre par le trou dans sa boîte aux lettres, deux ados amateurs de magazines érotiques ou encore une collectionneuse de Kinder Surprise.
Tels sont quelques-uns des personnages brossés en quelques pages par un narrateur qui n'est autre qu'un écrivain, homme de l'ombre se glissant à pas feutrés dans leurs existences pour les observer par le trou de la serrure.

Figure toujours en retrait et fonctionnant à son propre rythme, le narrateur prend la mesure du temps et des gens, cédant à la rêverie ("Un grand endroit pour dérouler", "Kate") ou à la nostalgie ("La carabine à patates", "Mon chapeau"), prenant subitement conscience de sa solitude ("Rien à secouer","Seul au monde", "Jour sans") quitte à se fixer sur certains détails, insignifiants pour le commun des mortels, mais qui meublent son quotidien ("L'enlèvement", "Au feu s'il vous plaît", "Disparu") ou encore à développer certaines manies ("La lettre").

"Libellules" évoque ces "non-événements" de l'existence qui participent de notre quotidien et qui, sous la plume bienveillante, familière (tout en étant soignée) de l'auteur, revêtent alors un peu plus de saveur que d'ordinaire.
Aussi souvent invisibles qu'éphémères, ils nourrissent pourtant l'imagination et l'existence solitaire de l'écrivain qui se les réapproprie, les réinvente, les sublime, tantôt avec amertume, tantôt avec humour, mais toujours avec délicatesse.
J'ai beaucoup aimé voir ce père s'empêtrer avec les questions de son fils au sujet de la vie après la mort, de la durée de vie des renards ou encore sur le sens de l'expression "voir la vie en rose".

" Qu'est-ce que ça veut dire : voir la vie en rose ?" m'a-t-il demandé en déboulant dans la pièce où je me trouvais.
J'avais à peine commencé à le lui expliquer qu'il m'a interrompu pour me dire que Dark Vador ne voyait pas la vie en rose, lui. "Parce qu'il est du côté obscur", a-t-il ajouté.
C'était un bon exemple. Je n'ai eu qu'à acquiescer.
Il ne le connaissait pourtant encore que de réputation, aux bruits qui couraient à son sujet, à travers les récits de ses combats, de ses batailles que certains faisaient pendant les récréations. Avec les quelques images qu'il avait pu en voir, cela lui avait suffi à se faire une idée du personnage.
Il m'en parlait beaucoup, me questionnait souvent à son sujet, et semblait éprouver à son égard un sentiment partagé, de fascination et de compassion. 
Et pourquoi cette voix caverneuse ? Cette respiration difficile ? Pourquoi ce casque ? Etait-ce vraiment un casque, d'ailleurs, ou son vrai visage ? Le retirait-il de temps en temps ?
Ou comment s'y prenait-il, sinon, pour s'alimenter.
J'osai émettre l'hypothèse qu'il se servait peut-être d'une paille. Mais je sentis bien, alors, qu'on ne pouvait pas rire de tout." p.87

J'ai moins apprécié des textes (trop) anecdotiques comme  "La carabine à patates", "Mon chapeau" voire agaçants de réalisme comme "Jour sans" ou "La lettre" où l'auteur nous détaille par le menu tous les stratagèmes à la Mc Gyver déployés pour récupérer une lettre tombée derrière sa boîte.
Pour résumer mon avis sur ce recueil, je dirais que dans l'ensemble, j'ai davantage apprécié les messages et les idées sous-jacentes aux procédés (certes efficaces mais fastidieux à la lecture).

Un avis mitigé sur ce recueil mais qui ne me détournera toutefois pas de l'auteur dont j'ai déjà "L'homme que l'on prenait pour un autre" sur mes tablettes.


Merci aux de m'avoir envoyé ce recueil




L'avis de Clara

28 octobre 2012

Mon amour bleu - Edith Piaf


Publié en 2009 et disponible en poche depuis le 22 août, "Mon amour bleu" rassemble pas moins de 50 lettres et télégrammes rédigés par la chanteuse Edith Piaf à l'attention du champion cycliste Louis Gérardin, devenu son amant 2 ans après le décès de son grand amour Marcel Cerdan.
1951. Edith Piaf est au sommet de sa gloire et chante "Padam...Padam", "Plus bleu que tes yeux" ou encore "Jézebel".
Elle fait la rencontre de celui qu'elle nommera durant un an dans l'intimité "m'amour", "mon adoré", "ma gueule chérie" ou encore "mon maître adoré".
Les sobriquets ne manquent pas, tout comme les compliments qui pleuvent littéralement dans chacune de ses missives pour exprimer le respect, l'admiration aveugle, le dévouement absolu pour ce bellâtre aux yeux lagons mais surtout le désespoir d'une femme qui s'offre toute entière à cet homme marié qui ne semble pas décidé à quitter sa femme.

Cécile Guilbert, qui signe la préface du présent ouvrage, souligne avec raison les nombreuses similitudes unissant Louis Gérardin à Marcel Cerdan, également sportif de haut niveau, aimé des femmes et marié.
Aurait-elle fait un transfert (s'est demandée la psychologue de comptoir qui sommeille en moi) ?
Mais alors que Cerdan semblait prêt à donner une chance à leur amour (c'est d'ailleurs au cours du vol qui le ramenait définitivement à Piaf qu'il trouva la mort), "Toto" semble plus qu'indécis.
Si le recueil ne contient que les écrits de Piaf, on sent bien à travers l'obstination désespérée qui se dégage de ses lettres que la chanteuse ne sait plus comment convaincre son amant de la préférer à sa femme.
Et ce n'est pourtant pas faute d'essayer (euphémisme) !
Si le début donne l'impression qu'elle tend à prouver son amour à Louis, on comprend assez rapidement que c'est surtout elle-même qu'elle cherche à rassurer et, devant tant de harcèlement d'acharnement (plusieurs lettres par jour), qu'elle se sent constamment en danger et soucieuse de le perdre d'un jour à l'autre.
Chaque lettre sonne alors comme une supplication, un énième cri du coeur qui ne trouve guère d'écho puisqu'elle se plaint fréquemment que Louis ne lui écrit jamais.
Les mots sont forts pour s'adresser à celui qu'elle a mis sur un piedestal et pour lequel elle cherche à se corriger, s'en remettant à son seul jugement pour s'améliorer et ainsi mériter son amour.

" J'ignore ce qu'est le paradis mais pour moi, il ne peut y avoir de plus grand bonheur que celui d'être ta femme devant Dieu ! Donc mon grand ne fais rien pour le moment, cesse de te tourmenter, reste avec Bichette et je me contenterai de ce que tu voudras bien me donner ! N'ai-je pas déjà énormément en sachant que tu m'aimes, que tu ne veux pas me perdre, que tu es bien quand tu es avec moi ! Oh si, mon amour, j'ai déjà beaucoup en occupant une place dans ton coeur chéri, enferme-moi bien dedans, sois égoïste avec moi, c'est la seule façon pour moi d'être heureuse.
Sois très exigeant, les larmes que tu me fais verser, je t'en remercie, tout ce qui vient de toi est bien; je veux être entièrement sous ta domination, je t'en supplie mon adoré, sois affreusement égoïste avec moi." p.111
J'ai toujours imaginé en Piaf une indéfectible romantique, une amoureuse de l'Amour, capable de le réinventer sans cesse avec un autre, d'enchaîner les relations en reprenant toujours tout à zéro tout en paraissant sincèrement éprise à chaque fois.
Si elle n'écrivait pas ses chansons, elle les incarnait totalement sur scène et à en juger par ma lecture des coulisses de sa vie intime, je comprends mieux pourquoi.
Ai-je pour autant apprécié cette lecture ? Pas vraiment. J'ai découvert une femme exubérante, effrayante d'abnégation, exigeante, insatiable voire même carrément obsessionnelle, une femme qui m'a touchée dans ses intentions mais surtout beaucoup agacée (rien ne devrait être pathétique en amour mais j'avoue que ce mot-là m'a traversé l'esprit) par sa prose dégoulinante mais surtout TRES répétitive.
Rien ne permet de dire que cette relation ait été à sens unique mais on l'imagine toutefois bien lourde à porter pour Girardin, fatigué de ces chassés croisés amoureux, coincé entre la pression mise par Piaf et la jalousie de sa femme, lâche au point d'attendre que cette maîtresse qui se consume d'amour pour lui s'éteigne d'elle-même, lui évitant ainsi de devoir choisir.

" Tu as toujours tout fait pour me perdre et tu continues" p.117

Et c'est effectivement ce qui finira par se passer lorsque deux mois après sa dernière déclaration, Piaf lui écrira pour lui annoncer son mariage avec Jacques Pills : " c'est qu'à force de vivre près de quelqu'un qui est tendre, gentil et plein d'attentions on se laisse prendre".
Et parce que l'Amour était son moteur, il y en eut d'autres, Davis, Moustaki et son dernier mari, Théo Sarapo avec lequel elle interpréta sur scène "A quoi ça sert l'amour ?" qui résume parfaitement sa conception de l'amour et son chemin de vie.



Il est parfois des choses qu'il vaut mieux ne pas savoir. Si j'admire toujours autant l'artiste, je me serais bien passée de ce portrait de femme...


18 octobre 2012

Les revenants - Laura Kasischke


Publié aux USA en 2011 et traduit en français la même année, "Les revenants" est le 8ème roman de la romancière et poétesse américaine Laura Kasischke, notamment auteure des romans "Un oiseau blanc dans le blizzard", "A moi pour toujours" ou encore "En un monde parfait".

Un soir de pleine lune, Nicole Werner et Craig Clements, un couple d'étudiants de la prestigieuse université Godwin Honors College, sont victimes d'un accident de voiture dont seul Craig réchappera, non sans perdre la mémoire de ce qui s'est passé.
Accablé par les accusations de meurtre émanant de la sororité dont faisait partie sa petite amie, il parvient toutefois à réintégrer l'université le semestre suivant et ré-emménage avec Perry, son ancien colocataire, autrefois proche de Nicole lui aussi.
Mais bientôt se succèdent de troublantes apparitions comme d'étranges cartes postales et coups de fil qui font dire à Craig et Perry que Nicole est peut-être encore vivante.
Leur chemin rencontre alors celui de Shelly Lockes, première personne à être arrivée sur les lieux de l'accident, Mira Polson, professeur spécialiste des embaumements primitifs et coutumes folkloriques liées à la mort, et de l'intriguante Josie Reilly, ancienne colocataire de Nicole.

C'est peut-être en croisant leurs vérités à tous qu'ils réussiront à faire toute la lumière sur l'énigme entourant le mystérieux décès de Nicole Werner...

" Ce que nous nommons le deuil est peut-être moins le chagrin de ne pouvoir rappeler nos morts à nous que celui de ne pouvoir nous résoudre à le faire." La Montagne magique, Thomas Mann

Si le récit débute par la découverte de la scène de l'accident par Shelly Lockes, il prend ensuite place un an plus tard, au moment où Craig retourne à l'université. La narration est alors fréquemment interrompue par des flash-backs qui nous éclairent sur la rencontre entre Craig et Nicole et la succession d'événements ayant entraîné leur accident.
Si j'ai au départ éprouvé quelques difficultés à me situer dans la chronologie, j'ai fini par prendre mes repères et apprécier cette construction habilement mise en place de sorte à ne jamais trop en dire d'un coup.
J'ai beaucoup aimé le soin apporté à la psychologie des personnages, ce contraste appuyé entre l'être et le paraître, le moi public et le moi privé, qui appuie la description de cet univers où les apparences sont souvent trompeuses.

A l'instar de Joyce Carol Oates, également adepte du campus novel aux accents tragiques, Laura Kasischke propulse le lecteur au coeur des couloirs d'une université, temple d'une éternelle jeunesse qui loin d'être insouciante, collectionne ses secrets, ses mensonges, ses fantômes et ses rites initiatiques douteux.


Bien qu'ayant fait mon baptême à l'université (semblable au bizutage mais avec toutefois quelques nuances) avec le lot de gousses d’aïl à gober et de pelles à rouler à des têtes de vaches mortes que cela comporte, je ne me suis jamais retrouvée à moitié droguée et enfermée dans un cercueil pour le plaisir de me voir « renaître »...

L'auteure pousse ici la critique sociale à l'extrême, s'attaquant aux sororités, associations estudiantines secrètes dont les membres sont triées sur le volet, formatées au point de devenir "interchangeables" et dont certaines s'adonnent à des activités bien moins innocentes que la confection de napperons...
Laura Kasischke ne s'arrête pas là.
"What happens in Godwin stays in Godwin". Telle pourrait être la devise de cette université corrompue par un corps académique dirigeant soucieux d'étouffer les affaires gênantes pour l'établissement.
Oscillant sans cesse entre rationnel et intangible, apparences et vérités, l'auteure nous dépeint dans une ambiance largement morbide les failles d'une élite intellectuelle totalement dépourvue du sens des valeurs.

Une construction en paliers successifs, un scénario qui m'a fait penser à un crossing-over entre "Skulls" et "Sex crimes", des personnages multi-facettes, un mélange hybride entre peinture sociale et thriller psychologique, saupoudré d'une bonne dose de fantastique, le tout servi par une écriture aussi dense qu'irréprochable (dommage toutefois pour les coquilles et les trop nombreux "présentement" de la traductrice).
J'ai juste trouvé terriblement frustrant (même si cela contribue à laisser planer un certain mystère) de ne pas connaître l'issue de deux personnages clé de l'histoire mais ce petit bémol mis à part, que demander de plus si ce n'est de relire cette auteure au plus vite ?


D'autres avis : Choco - Kathel - Theoma - Leiloona - Brize - Valérie 

MERCI à Babelio de m'avoir envoyé ce roman !

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15 octobre 2012

Serum saison 1 épisode 2 - H.Loevenbruck et F.Mazza



En librairie depuis le 25 avril, "Serum - épisode 2 saison 1" est le second volet d'une série co-écrite par les français Henri Loevenbruck et Fabrice Mazza. Six épisodes composeront la saison 1 et il en sera de même pour les saisons 2 et 3.
Les épisodes 3 et 4 sont respectivement sortis le 27 juin et le 26 septembre. Le cinquième épisode sera disponible dès le 24 octobre tandis que le dernier de la saison est annoncé pour le 28 novembre.

Mon avis sur l'épisode 1

!!! A ne pas lire si vous n'avez pas encore découvert l'épisode 1 !!!

Dans ce second épisode, le lecteur assiste à nouveau à une opération, du cerveau cette fois, au sein d'un Centre dont les activités demeurent encore obscures. Emily continue d'être suivie par le Dr Draken qui grâce au sérum, inducteur hypnotique créé par le Dr Ben Mitchell, accède à sa conscience et se laisse entendre que les visions étranges d'Emily n'en réfèrent pas forcément au passé.
L'auteur présumé de plusieurs meurtres d'agents immobiliers non élucidés est mis aux arrêts.
Les fondateurs d'Exodus2016, dénonciateur de grands complots à l'image de Wikileaks, s'apprêtent à se montrer à visage découvert au cours d'une conférence de presse.
Alors que Lola Gallagher continue de mener l'enquête, son collègue Philipp Detroit fouine toujours dans la vie de Chris Coleman, le frère de Lola...

Rédiger un billet sur l'épisode 2 d'une série qui en comptera au total 18 est un exercice plutôt périlleux en ce qu'il exige de ne pas spoiler. J'espère en ce sens ne pas avoir gâché le plaisir de certains.
Ce billet ne sera pas long étant donné qu'au stade où j'en suis, je ne m'estime pas encore en mesure de pouvoir exprimer un avis définitif sur la série.
Ce que je peux en dire jusqu'à présent est que, à l'image des séries télé, l'ouvrage s'ouvre sur un résumé façon "Previously on Serum" qui, sur base d'extraits choisis, nous rappelle les éléments importants de l'épisode précédent. Sur le même principe, il se referme sur un teaser annonçant les grandes lignes de l'épisode suivant.
Autre aspect commun aux séries-télé, les différentes histoires parallèles à l'intrigue principale sont mises à l'avant-plan et induisent une fausse impression de progression et de rythme soutenu.
Beaucoup de blablas dialogues mais le lecteur devra attendre les 50 dernières pages avant de voir l'enquête progresser d'un bond.
Autant dire que cette méthode crapuleuse commerciale se donne clairement pour but de frustrer le lecteur et de piquer suffisamment sa curiosité que pour l'entraîner à lire l'épisode suivant.
Je me demandais au départ si cette série avait été écrite en un seul jet pour être ensuite découpée en plusieurs épisodes ou au fur et à mesure de l'imagination des auteurs. Le schéma narratif m'incite à pencher pour la seconde option.

En ayant conscience qu'on joue avec mes pieds et mes sous mes nerfs de lectrice et en dépit d'une écriture franchement basique, vais-je pour autant poursuivre ma découverte de la série ?
Hum...oui...tout simplement parce que ça se lit tout seul, que c'est le genre de lecture facile qu'on apprécie entre deux ouvrages plus costauds (un peu comme caser un épisode de Joséphine ange gardien entre deux films d'auteur), que la curiosité est quand même un peu là et que dans un élan d'optimisme, j'avais acheté les épisodes 2, 3 et 4.

D'autres avis : Géraldine - Liliba - Irrégulière 



9 octobre 2012

Passés imparfaits - Patrick Dupuis






Disponible en librairie dès le 15 octobre, "Passés imparfaits" est un recueil de nouvelles de l'écrivain belge Patrick Dupuis, également auteur du recueil "Ceux d'en face" ou encore "Nuageux à serein".
Patrick Dupuis est également l'un des fondateurs de la maison d'édition belge Quadrature.

"Passés imparfaits" rassemble 21 instants volés à des êtres sur le point de passer ou non à autre chose, de faire revivre le passé ou au contraire, de le ranger ou de le maintenir au milieu des souvenirs.
Dans tous les cas, tous les personnages se retrouvent à un moment donné face à une décision à prendre.
Ex-femmes/maris, anciens amants ou amis autrefois proches puis séparés par la vie depuis souvent plusieurs années se voient confrontés au choix de réintégrer ou non l'autre dans leur vie présente.
Que peuvent bien encore se dire ces deux amies que sont cette femme au foyer sans foyer et cette carriériste tout juste mise au rebut ? Après avoir passé 3 ans de prison sans contact avec sa famille, cet homme retrouvera-t-il ces proches laissés derrière lui ?
Parviendra-t-elle à pardonner son mari volage pour repartir de zéro ?
Tout juste divorcé, ce couple s'accordera-t-il une seconde chance ?
Osera-t-il aborder cette femme perdue de vue et quittée pour une autre 23 ans plus tôt ?

A la naissance de ces textes réside souvent une réminiscence, une réapparition inattendue, parfois source d'une nostalgie passagère mais toujours d'une certaine curiosité à laquelle se mêle l'appréhension de retourner à un présent qui pourrait bien ressembler en tous points aux souvenirs.
Des fantômes du passé ressurgissent, associés à des portraits pas forcément heureux.
Certains se risquent à les affronter par nostalgie du bon vieux temps, d'autres préfèrent leur tourner le dos, choisissant de continuer à conjuguer le passé à l'imparfait, à conserver leur liberté.
Sur un ton souvent amer voire désabusé, l'auteur nous fait partager ces existences solitaires brusquement ravivées par le souvenir de cet autre qu'elles souhaiteraient ou non voir appartenir au passé.


J'ai aimé l'écriture à la fois fluide et concise de Patrick Dupuis, son sens de l'observation, son regard réaliste sur les relations humaines et ses clins d'oeil à notre petit pays notamment dans "Le buveur d'Orval" ou encore dans "Une brune tempérée".
Je suis moins enthousiaste vis-à-vis du fond car il m'a semblé que si les textes se suivaient rapidement (2-3 pages chacun tout au plus), ils se ressemblaient malheureusement un peu trop par endroits ("La lettre" et "Le concert", "Contraste" et "Le plus beau point de vue de la région").
Je pense pour ma part que la thématique choisie permettait une plus grande diversité dans les portraits proposés.

Merci à Patrick Dupuis de m'avoir envoyé son recueil.







5 octobre 2012

La Mise à nu des époux Ransome - Alan Bennett



Paru en Angleterre en 1998 et traduit en français l'année suivante, "La Mise à nu des époux Ransome" est le premier roman de l'écrivain et scénariste anglais Alan Bennett, notamment auteur de "La Reine des lectrices", "Soins intensifs" ou plus récemment de "So shocking".

De retour d'une soirée à l'opéra, Mr et Mrs Ransome constatent avec effroi que des cambrioleurs ont profité de leur absence pour emporter tout le contenu de leur maison.
Livrés à eux-mêmes et privés de leur confort, ils peinent à encaisser le choc.
Tandis que Mr Ransome continue de se rendre au boulot et compte bien faire jouer la prime d'assurance (voire même en gonfler un peu le montant), Mrs Ransome prend conscience des nouvelles perspectives qui s'offrent à elle...
Mais alors que le couple commence à réinventer le quotidien, un mystérieux pli contenant une facture laisse croire que leurs affaires n'ont peut-être pas disparu...

Voici le portrait d'un vieux couple typiquement british tel qu'on se les représente souvent : tiré à 4 épingles, rassuré par la routine sécurisante et a contrario effrayé par tout changement et plus largement par le monde extérieur et ses habitants (encore plus si ils sont "exotiques").
Alors forcément, quand il leur arrive quelque chose hors du commun à ces deux-là et que le vernis s'écaille, la mise en situation ne peut être que cocasse !
Au contraire de son mari étriqué qui prend un malin plaisir à reprendre chacune de ses phrases, Mrs Ransome semble plus curieuse de nature et encline à tirer parti de sa nouvelle situation pour rebondir et envisager la vie sans tout le confort dont ils disposaient et qui en un sens contribuait à maintenir le couple dans une bulle.
Aussi, après un brin d'hésitation, se décide-t-elle à entrer dans un établissement pour y prendre son petit-déjeuner (une grande première pour elle) et succomber à la tentation de la presse people, à se rendre chez Marks & Spencer sans liste ou encore à passer la porte du petit épicier de quartier pas anglais jusque là snobé pour lui acheter des patates douces et autres mets dont il ne vaut mieux pas divulguer la provenance à son mari.
Oui, Mrs Ransome prend goût au changement et à la fantaisie. Aussi, lorsqu'elle apprend que ses affaires lui seront sans doute rendues, elle n'accueille pas forcément la nouvelle avec autant d'enthousiasme qu'escompté.

Sans être hilarant mais qui prête pourtant à sourire, l'humour est présent tout au long de ce récit qui frôle souvent l'absurde, particulièrement dans les dialogues (de sourds) avec Martin ou encore avec la psychologue envoyée par la police suite au cambriolage.
Bien sûr, au delà de la farce émerge une vision douce et amère du couple avec sa routine, ses non dits, ses fausses apparences, ses doubles discours et ses petits mensonges du quotidien.
Vu le ton général du roman, je ne m'attendais pas du tout à être émue dans les toutes dernières pages par le personnage de Mrs Ransome, beaucoup moins superficielle qu'elle n'y paraît.

Une lecture savoureuse qui me donne envie de découvrir "So Shocking". 



D'autres avis : Liliba - Mango - Sandrine - Voyelle et Consonne

2 octobre 2012

Ossobuco - Andrea Marcelli


Disponible en format papier depuis le 21 septembre, "Ossobuco" est le premier roman du journaliste italien Andrea Marcelli et le premier roman édité par la toute jeune maison d'édition Emue.

"Ossobuco" est le titre du journal intime que Luca Lentini dépose chez son meilleur ami Felix Kirby avant de se volatiliser sans laisser d'adresse.
A mesure de sa lecture, Felix rencontre ou revoit quelques femmes ayant traversé la vie de son ami, le temps de quelques ébats tout au plus.
D'un naturel plutôt nomade, Felix surprend sa mère par son retour impromptu à la maison où il passe de plus en plus de temps à se replonger dans ses souvenirs pour tenter d'y trouver un indice qui lui permettrait de comprendre la démarche étrange de Luca.
C'est qu'à y regarder de plus près, leur amitié est peut-être plus fragile qu'il ne le pensait...

Pour être honnête, je n'étais pas vraiment emballée par ma lecture des premières pages. A travers les mots de Luca, on décèle rapidement en lui le mal-être existentiel du quadra qui, fustigeant toute l'absurdité d'une vie routinière à grand renfort de sarcasmes, s'ennuie au boulot comme dans une vie privée quelque peu pitoyable.
Je dois dire que le personnage du quadra éternellement insatisfait commence à me gonfler d'autant que certains passages tels que " Linguistiquement parlant, notre compréhension est pure. Les paroles sortent spontanées, libérées du joug de l'angoisse car libérées du poids de l'histoire et de la société. Mais l'enchantement se brise dès que l'on trébuche dans l'existentiel, domaine aujourd'hui encombré par la question du travail.", façon mini essai sociologique imbriqué, aussi lucides soient-ils, me déprimaient et surtout, me rendaient perméable au récit.
Je me demandais donc où ce laius sur le monde du travail allait me mener.

En marge de la confession de Luca se dessine le profil de son ami Felix qui dans un autre genre, n'en mène pas large non plus.
Rentier oisif et voyageur compulsif, il semble survoler la vie et surtout convoiter les conquêtes de Luca.
La recherche de son ami s'avère ainsi un excellent prétexte pour approcher ces femmes intrigantes.
Mais c'est surtout en puisant dans sa mémoire que Felix saisira le message délivré par Luca dans son journal.
Plus je progressais dans le récit, plus il me semblait qu'un étau se resserrait entre Felix et Luca. Tandis que l'un, d'abord diminué, semble reprendre petit à petit de l'assurance à travers les mots de son journal, l'autre complète la narration par le récit de ses propres souvenirs et se montre de plus inquiet. 
Et "une irrémédiable distance" s'installe en même temps qu'une rivalité malsaine entre ces deux hommes qui semblent de plus en plus dialoguer, se répondre, sans toutefois jamais se faire face.
La troisième et dernière partie du récit s'annonce alors comme une bombe à retardement prête à exploser car on se doute bien que l'issue du journal réservera quelque révélation.
Et bien qu'on en devine les contours, elle n'en est pas moins terrible, d'autant qu'à la toute fin subsiste encore le doute quant à la sincérité de Luca.

Non, tous les hommes ne se tapent pas sur la tronche pour régler leurs comptes. Certains le font de façon beaucoup plus tordue subtile. Et s'agissant de subtilité, ce roman n'en manque assurément pas, aussi bien dans le développement du récit que dans le glissement qui s'opère dans la psychologie des personnages.
En ce sens, "Ossobuco" porte donc très bien son nom puisque Luca - et a fortiori l'auteur vis-à-vis de son lecteur - manie fort bien le suspense pour faire mijoter Felix jusqu'au point d'ébullition.
S'agissant de l'écriture, je dois dire que je suis toujours bluffée par ces auteurs comme Marcelli ou encore Andreï Makine dont le français n'est pourtant pas la langue maternelle, qui parviennent à se l'approprier avec un seuil d'exigence qui fait défaut à pas mal d'auteurs francophones.

Ainsi donc, malgré un début laborieux, cette lecture fut pour moi une belle découverte !

MERCI aux éditions Emue de m'avoir offert ce livre !