25 mai 2013

Claustria - Régis Jauffret


Publié en 2012, "Claustria" est un roman de l'écrivain français Régis Jauffret, également auteur de "Cet extrême amour", "Lacrimosa", "Tibère et Marjorie" ou encore de "Sévère".

Le 26 avril 2008, l'Autriche découvre avec horreur le portrait de Josef Fritzl, un père de famille accusé d'avoir séquestré et violé sa fille Angelika dans sa cave durant 24 ans. Celle-ci mettra au monde 7 enfants dont 3 vivront au sous-sol avec elle. L'un y perdra la vie. Trois autres seront élevés dans la maison par l'épouse de Fritzl.
A partir de faits réels, de témoignages et d'une visite sur les lieux, Jauffret imagine la relation entre Fritzl et son avocat lorsque celui-ci est emprisonné et retrace le quotidien de "l'ogre" et du "petit peuple de la cave", "cette famille broyée, extraite en charpie de son terrier".

Bien que je savais que "Claustria" mêlait réalité et fiction, j'ai été horrifiée (qui ne le serait pas ?) mais aussi révoltée de bout en bout par ce roman.
Le portrait que l'auteur dresse de Josef Fritzl est pour le moins glaçant. Libidineux, autoritaire et brutal, le jeune Fritzl tente d'abuser de sa mère et la séquestrera par la suite au grenier durant 21 ans avec la complicité de sa femme et de sa belle-soeur.
Quelques années plus tard, il écope d'une peine de prison pour viol. Son épouse finance ses cours par correspondance afin qu'il puisse étudier en prison et passer son diplôme d'ingénieur en construction.
Il commence à abuser de sa fille aînée lorsque celle-ci a 12 ans et l'enferme dans la cave la veille de sa majorité, disant à sa femme que celle-ci s'est enfuie pour rejoindre une secte.
Durant près d'un quart de siècle et sans remords aucun, il règnera en maître absolu dans cette cave dépourvue de fenêtre, privant sa fille et ses (petits)enfants de nourriture, d'eau, d'électricité quand ça lui chante.
Le quotidien de cette "seconde famille" tourne autour de la télévision et se veut ponctué par l'attente des visites de Fritzl.
Bien sûr les voisins, et surtout les locataires, entendent des bruits venant d'en bas. Mais tous finissent par s'en aller sans poser de questions.

Epouse avant tout, Anneliese Fritzl (peut-être jalouse de sa fille ?) jouera le jeu de son mari jusqu'au bout, allant jusqu'à renier ses 5 sens et son instinct maternel (en avait-elle un au départ ?) pour feindre de ne rien savoir de ce qui se passe juste en dessous de ses pieds.
Et pourtant, Fritzl est loin de se comporter avec elle en gentil mari...
Considérée comme une victime par la justice, elle choisira de ne pas témoigner au procès (!)

Angelika présente une personnalité ambivalente, tantôt victime, tantôt maîtresse consentante.
J'ai préféré ranger la seconde option dans un coin de ma tête, me disant que l'instinct de survie s'exprimait différemment chez chacun (impossible de juger de son comportement).


Sans jamais verser dans la perversité ou la violence gratuite, l'écriture de Jauffret colle parfaitement à toute l'horreur du récit. Une écriture qui emprisonne le lecteur, avant de l'asphyxier.
La brièveté des chapitres permet à peine au lecteur de reprendre son souffle avant de replonger dans les profondeurs de la cave.

Là où j'ai moins adhéré aux propos de l'auteur c'est lorsqu'il multiplie les sous-entendus, particulièrement dans les propos de l'avocat chargé de la défense de Fritzl, concernant les moeurs autrichiennes ("Claustria" étant la contraction de "claustration" et "Autriche").

" Récemment encore, il n'était pas rare de voir dans un lieu public des parents jeter par terre un enfant désobéissant et s'acharner sur lui dans l'indifférence générale." p.46

" Vous savez très bien que chez nous l'inceste est une peccadille. Vous risquez trois ans de prison, et encore avec un très mauvais avocat.
Si l'on procédait à des tests ADN dans tout le pays, on s'apercevrait que nombre de nos concitoyens sont le fruit d'un inceste.
C'est une affaire typiquement autrichienne que nous devrions régler en famille afin de rendre au plus vite leur père à ces enfants déjà assez désorientés par leur soudain débarquement dans la communauté humaine." p.89

" Remarquez, il faudrait peut-être que la police songe à fouiller toutes les caves du pays. Qui sait si certains de nos concitoyens n'y sont pas enfermés depuis trente ou quarante ans ? Il y a peut-être même des vieillards qu'on a enfermés enfants avant-guerre ? "p.94

Et c'est sans compter les allusions aux falsifications de preuves, aux omissions et aux témoignages écartés, de nombreuses anomalies qui se greffent au récit et tendent à faire penser que les autorités autrichiennes souhaitaient, à défaut d'étouffer l'affaire, en minimiser certains aspects.
Un écrivain peut se permettre beaucoup de choses au nom de la liberté d'expression et sous l'angle de la fiction.
Et je peux comprendre que l'Autriche, dont l'image fut déjà bien assombrie par l'affaire Natacha Kampusch, ait mal accueilli la parution de ce roman.
Après tout, quel pays peut se vanter de n'abriter aucun désaxé ? En Belgique, nous avons connu les affaires Dutroux et Pandy. Aux USA, trois jeunes femmes qui avaient été séquestrées par un homme durant 10 ans, ont été libérées il y a quelques jours.

Où s'achève la réalité et où commence la fiction ? "Claustria" est en tous cas un roman troublant à bien des égards...
 
D'autres avis : Ys - Lili Galipette


11 commentaires:

  1. J'attendrai le bon moment pour le lire..

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    1. Oui ce n'est pas vraiment le genre de roman qu'on lit dans le bus pour se divertir ;)

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  2. Je l'ai en grand format, et je n'ai pas encore osé l'ouvrir ...

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    1. Question de moment j'imagine mais bon, ça reste dur quand même...

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  3. Je me souviens de cette affaire. J'avais vu un reportage. Je vais éviter pour le moment !

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  4. Je crois que je n'oublierai pas ce livre, et même que je le relirai. Avec le recul, je le trouve encore mieux qu'à chaud, Jauffret a l'art du sordide sans complaisance. Et tant pis pour l'Autriche.

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    1. Je ne sais pas si je le relirai car j'ai l'impression que je le garderai bien en mémoire.
      Pas sûre de vouloir replonger dans cette cave une seconde fois.
      Bah disons que pour l'Autriche, je comprends la réaction du pays visé qui est quand même ici la cible de quelques amalgames douteux.

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  5. C'est un roman que j'ai beaucoup hésité à lire, me demandant s'il serait supportable. Finalement, je ne l'ai pas lu mais ce n'est pas un non définitif.

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    1. A éviter en cas de baisse de moral ou de sensibilité aigue.

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  6. Je passe mon tour. Même s'il doit être très intéressant, je préfère éviter ce genre de lecture...

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